Afr.j. polit. .«/. (1999), Vol. 4 No. 1, 127-145 La Dimension Ethnique Dans la Dynamique Socio-Politique du Benin Du Renouveau Democratique Denis Amoussou- Yeye * Introduction Generate Comme la plupart des paradigmes synthetiques, Pethnicite s'est revelee comme une variable commode pour rendre compte de certains determinants socioanthropologiques de la dynamique politique dans les pays de l'Afrique Subsaharienne, surtout depuis que ces pays ont renonce au monopartisme comme mythe - fallacieux - d'integration nationale et d'instrument de developpement modernisateur. Cependant, 1' utilisation uni verselle de ce paradigme qui des lors est plaque a toutes les realites africaines contemporaines, risque, nonobstant sa simplicite operatoire, d'occulter l'existence d'autres categories conceptuelles pour analyser et comprendre certains phenomenes structuro-fonctionnels qui ne se laissent pas forcement re'duire a l'ethnicite en tant que telle. On pourrait meme affirmer que dans les cas de certains pays africains, notamment le Senegal et le Benin, la variable ethnique ne serait pas le parametre decisif pour mettre en evidence les determinants socio-anthropologiques qui fondent la dynamique politique dans ces pays; d'autres variables tout aussi importantes sont a prendrc en compte. En effet, on peut difficilement affirmer que les deux grands partis qui dominent la vie politique senegalaise par exemple, a savoir le PS et le PDS sont des partis a dominance ethnique de part et d'autre, dans la mesure ou les elites de ces deux partis se r6partissent indiffeiemment dans les ethnies wolof et serer, les deux grandes ethnies du Senegal. La ligne de demarcation entre le PS et le PDS n'est done pas ethnique. Les leaders de ces deux grands partis ainsi que les elites oligarchiques (Michels) sont indifferemment d'ethnie wolof ou autres des 1027-0353 © 1999 African Association of Political Science 128 Denis Amoussou- Yeye deux cotes. Ainsi une autre variable determinante serait a prendre en compte pour expliquer le clivage politique PS-PDS. Dans le Be'nin du Renouveau democratique, si la conscience et l'identite regionales sont prdgnantes lors des elections presidentielles, comme en temoignent les resultats des elections presidentielles de Mars 1991 et de Mars 1996, d'autres identites et consciences de groupe comme la parochialite ou l'attachement au terroir local et I'ethnicite se telescopent comme variables determinantes des resultats des elections legislatives. Le phenomene etait deja sensible lors des elections legislatives de Fevrier 1991. II le sera encore plus en Mars 1995, lorsque le decoupage electoral donnera des circonscriptions electorates plus petites, reduites a trois sous-prefectures, au lieu du departement comme en 1991. Le terroir, lieu d'expression d' une forte conscience ethnique et de la solidite des attachements locaux, etait ainsi en train de prendre corps. II suffisait pour en consacrer ou nier la realite politique au profit d'espaces socio-politiques plus grands, de franchir un rubicon que les decideurs politiques d'alors n'ont pas ose franchir: l'instauration du scrutin majoritaire uninominal dans le cas favorable ou de liste dans le cas contraire (comme au Senegal d'ailleurs). II est interessant de noter dans le cadre de cette etude que malgre l'importance accordee aux partis politiques comme lieu d'agregation des exigences populaires et d'expression du suffrage du peuple par toute la classe politique beninoise fidele en cela aux engagements pris lors de laConference Nationale, la conscience ethnoparochiale est encore un determinisme socio-politique puissant. En effet, le scrutin de liste a la representation proportionnelle a ete maintenu; mais les elections legislatives de Fevrier 1991 et surtout celles de Mars 1995, ont vu au contraire le triomphe de l'ethnicisme parochial. Premiere Partie le Cadre General Cadre De L'etude Un BrefApercu Sur Le Paysage Politique Du Benin Du Renouveau Democratique De 1991 A 1996 La virulence des mouvements sociaux face a la banqueroute du regime du PRPB en 1989, a eu raison de ce regime qui a dirigc le Benin pendant dix-sept ans. II renon^a alors a 1' ideologic marxiste-lcniniste et au monopartisme et dut convoquer une conference nationale des forces vives pour asseoir un nouvcl ordre ''onstitutionnel. Cettc Conference Nationale qui s'est tcnue du 19 au 28 Fevrier se proclama souveraine, decreta la force executoire de ces decisions et substitua une nouvellc Charte Constitutionnellc a la Loi fondamentalc alors en vigueur. une La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 129 periode de Transition d'un an fut institute et en attendant qu'une nouvelle Constitution soit votee et de nouvelles instituions mises en place au terme de cette Transition, les institutions d'alors sont les suivantes : - Un Parlement de Transition dit Haut Conseil de la Republique compose' des membres du presidium et des bureaux des commissions de la Conference Nationale; - un Premier Ministre elu par la Conference Nationale elle -meme; - un President de la Republique qui n'est autre que l'ancien President de la Republique maintenu en place. La periode de Transition qui commence en mars 1990 se termina le ler Avril 1991 par l'entree en fonction du nouveau President de la Republique eiu le 24 Mars 1991. Auparavant, la Constitution du 11 Decembre 1990 avait et6 adoptee et les elections generates, legislatives en Fevrier 1991 et presidentielles en Mars 1991 avaient ete tenues. Pres d' une douzaine de candidats pour les elections presidentielles et vingt-deux (22) partis ou listes de partis pour les elections legislatives s'&aient pre'sentes a ces premieres elections de l'ere du Renouveau democratique. Une cinquantaine de partis politiques avait alors declare leur existence legate au Ministere de l'lnterieur. Nonobstant les menees competitives inherentes a toute election, ces premieres elections etaient dominees essentiellement par I'ide'al de Concorde consensuelle n€ a la Conference Nationale et mu par la volont^ commune de voir disparaitre le regime du PRPB pour laisser la place a un Etat de droit. Mais des 1993, T opposition au re'gime SOGLO se structure et une Convention Nationale des Forces du Changement, groupement des partis et de personnalites opposes a la politique de Nicephore SOGLO vit le jour sous le leadership de monsieur Albert TEVOEDJRE, president du parti Notre Cause Commune. La revision du code electoral etait l'un de ses objectifs. La proposition de loi deposde par 1'opposition ne modifiait pas fondamentalement le mode de scrutin; mais il avait en revanche une innovation de taille avec lactation d'une commission electorate independante dite Commission Electorate Nationale Autonome (CENA). Le mode de scrutin, scrutin de liste a la representation proportionnelle, ne sera pas modifid bien que les nouvelles circonscription electorates Etaient de taille plus r£duite et n'6pousaient plus les contours du de'partement; contrairement au voeu du Gouvernement qui voulait le mode de scrutin uninominal majoritaire. L'opposition majoritaire a 1' Assemblec Nationale imposa ses points de vue. C'est dans ces conditions que le Gouvernement au cours d'un Conseil des Ministres fixa pour une premiere fois la date des elections legislatives au 5 Fdvrier 1995. Cette fois-ci, ce sera trente-une (31) listes de partis ou alliances de partis qui vont sollicker le suffrage des electeurs alors que le pays comptait deja pres d'une centaine de partis politiques. Cette diminution des preventions sera aussi observee pour les elections pre'sidentielles de Mars 1996 ou seulement sept (7) candidats seront enregistres pour le premier tour de ces elections. Le Be'nin compte actuellement 130 Denis Amoussou- Yeye plus d'une centaine de partis politiques regulierement enregistres au Ministere de l'lntdrieur et pres d'une cinquantaine fait partie de la Coalition des Forces Democratiques qui a porte le General KEREKOU au pouvoir. Parmi lacinquantaine restante, au moins vingt-cinq se disent des partis du "centre"; ce qui veut dire dans le vocabulaire politique beninois qu'ils ne sont ni de l'opposition, ni de la mouvance presidentielle. Dans l'opposition, nous retrouvons comme figure de proue la Renaissance du Benin de l'ancien President Nicephore SOGLO alliee aux partis qui avaient soutenu sa candidature au premier tour puis au second tour de l'election presidentielle. Mais contrairement a ce qui se passe dans d'autres pays de la sous-region, ces partis ne se sont pas encore regrouped en un front des partis de l'opposition alors que des 1993, les partis opposes au regime de SOGLO s' etaient retrouves au sein d' une Convention Nationale des Forces du Changement qui se transformera plus tard en un Comite National de Soutien a la Candidature du General KEREKOU, en Coalition des Forces de l'Alternance Democratique pendant le scrutin et en Coalition des Forces Democratiques une fois la victoire acquise. Un Tour D'horizon Theorique Les deux grands partis vainqueurs des dernieres elections legislatives, celles de mars 1995, a savoir la Renaissance du Benin et le Parti du Renouveau Democratique sont apparemment domines d'un cote par les fons et de l'autre par les gouns. Or, il est a noter que ces deux groupes socio-culturels constituent en realite une seule et meme ethnie si on se refere a l'histoire de leur constitution anthropologique, a la langue, a la culture religieuse traditionnelle, aux valeurs dominantes concernant le culte des ancetres, le mariage, la vie sociale, etc. S'ils ont ete obliges de se distinguer l'un de l'autre, ce n'est pas pour une raison de dissemblance identitaire, ethnique en l'occurrence, mais pour d'autres raisons determinantes, dont surtout l'appartenance a un autre espace de communaute de destins historiques qui n'est plus seulement l'identite ethnique a proprement parler. La seule dimension ethnique ne peut done pas nous aider a comprendre les raisons de cette animositc historique entre ces deux groupes socio-culturels depuis l'epoque pre-coloniale; car ces groupes sont voisins (nous dirions meme cousins) et les dynasties regnantes respectives sont issues de la meme famille dans le meme royaume d'origine, a savoir le royaume d'Allada. II y aurait done lieu de rechcrcher, dans ce cas, une autre ligne de demarcation identitaire qui, somme toute, ne semble pas se situer au niveau de la conscience ethnique stricto sensu. II serait alors plus pertinent de questionner d'autres variables explicatives plus pregnantes et determinantes pour comprendre la fideiite politique differente de chacun des deux groupes et que la seule appartenance a telle ou telle ethnie ne peut plus expliquer. Nonobstant cette mise au point theorique, la variable ethnique demeure cependant La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 131 prdgnante dans ladynamiquesocio-politiquede la transition d&nocratique africaine en general et du Benin en particulicr. Pour bien comprendre ladynamique socio-politique dans le Bdnin du Renou veau democratique, trois variables determinantes sont a prendre en compte. Ce sont la regionalite, la parochialite et l'ethnicite dont il s'agira de saisir respectivement les impacts et les liaisons causales qui peu vent exister entre elles si on veut bien cerner les facteurs determinants dans la dynamique socio-politique du Benin actuel. Commencons d'abord par le facteur regional. Les donn^es de l'histoire nous montrent que les Gouns et leurs cousins Fon appartiennent au meme rameau gbe dont la composante adja a Emigre de Tado (dans l'actuel Togo) pour se fixer sur le plateau d'Allada ou ils constituerent le royaume du meme nom. Au XVIeme siecle, deux des fils du monarque rdgnant a l'epoque, le cadet et le benjamin quitterent le berceau familial a la tete chacun d'un groupe d'6migrants aizo (les Adjas d'Allda) pour aller fonder un royaume, le cadet Te-Agbanlin a Porto-Novo et le benjamin Dako-Donou sur les rebords du plateau d' Abomey. Non seulement, les litanies des deux families regnantes continuent de les designer comme des Alladanou (originaires d'Allada), mais les deux royaumes s'etaient toujours refer6 a Allada comme leur noyau culturel. D'oii peuvent done venir les antagonismes entre les freres ennemis du royaume de Porto-Novo et celui du Danhome? Tous les historiens invoquent des raisons g6opolitiques dont la source se trouverait dans les rivalites pour avoir le monopole du commerce negrier. Ainsi le port de Porto-Novo, -nom predestine- et celui de Ouidah se disputaient le monopole du commerce avec les negriers portugais d'abord, puis fran§ais et anglais. Ces donnes historiques expliqueraient pour une grande part les antagonismes entre Fons du Danhome et Gouns de Porto-Novo que rien ne s6pare a priori en ce qui concerne 1' identite socioculturelle. Un autre fait remarquable interessant pour notre sujet est le suivant. Les gouns, ethnie dominante de I'ex-royaume de Porto-Novo, se sentiraient plus proches des autresethnies du dit royaume, comme les nagots (yoroubas de l'ancien royaume de Porto-Novo) notamment, que de leurs conge^neres fons du Danhome. II en es t ainsi des fons qui se sentiraient plus proches des Yoroubas du Danhome1 que de leurs freres gouns. Nous faisons done 1' hypothese que les rivalites ge'opolitiques de la periode precoloniale et les luttes politiques de la pe'riode coloniale et post-coloniale ont toujours pris principalement dans le Sud du Benin la forme d'une lutte entre deux entites historiques, Porto-Novo d'un cote et Danhome de l'autre. Deja a la periode coloniale, deux grands partis dont l'extension geographique epousaient les limites territoriales des deux grands royaumes ennemis du Sud- Benin pre-colonial, le PRD (Parti Republicain du Dahomey, a ne pas confondre avec le PRD actuel qui n'a repris ce nom prestigieux que pour ressusciter le souvenir du grand parti colonial), et l'UDD (Union Democratique Dahomeenne) dominaient la scene politique. En ce qui concerne le Nord du pays, le Groupement 132 Denis Amoussou- Yeye Ethnique du Nord, parti fonde en 1955 par Hubert MAGA, un instituteur bariba, etait tout aussi bien la r£sultante de la prise de conscience des baribas et d' un certain nombre d'ethnies du Borgou, un espace politique homogene compose d'un ensemble de principaute's vassales du royaume de Nikki. La region de 1'Atacora quant a elle, bien que region a physionomie geographique marquee, a cause du caractere segmentaire des groupes socio-culturels de cette region qui n'ont pu se mettre sous I'autorite du meme imperium a l'inte"rieur d'une entity etatique, a €t€ toujours a la traine du Borgou pour les revendications lie"es a l'identitd sociopolitique. II en est encore ainsi actuellement ou 1'Atacora demeure le "terrain de chasse" des deux partis dominants du Borgou actuel, l'UDS (Union pour la Democratic et la Solidarite Nationale) en perte de vitesse a cause de son alliance "trattresse" avec les fons et assimiles de I 'aire socio-politique de 1 'ancien DanhomS, et le tout nouveau puissant mouvement politique se reclamant de l'heritage sociopolitique du Borgou, le Fard-alafia. Quand a la region du Zou-Nord, partie du Yoroubaland occidental autonome mais ancien vassal du puissant voisin qu'etait le Danhome, elle demeure de meme sans un grand leadership politique homogene et reste de ce fait le "terrain de chasse" de tous les partis politiques du Benin actuel; mais somme toute, on peut la classer dans le Danhome pour la commodity de l'analyse. Aussi, a la periode coloniale, cette region s'etait-elle toujours alliee politiquement avec le Groupement Ethnique du Nord devenu en 1957 le Rassemblement Democratique Dahome'en pour marquer sadistance avec l'aire actuelle de l'ancienne puissance impe"rialiste. Les memes tendances d'affinites politiques ont exists mutatis mutandis de 1945 a 1990entre la region du Mono, depourvue a lape>iode pre"-coloniale d'une autorite e"tatique centralisatrice et l'Union Ddmocratique Dahom^enne, exception faite de la peYiode revolutionnaire (1972-1990). Seulement aujourd'hui, le Mono tente de se forger une conscience regionale sous la direction d'un parti dominant, le Parti Social-Democrate. En conclusion, la region de 1' Atlantique et du Zou qui epouse plus ou moins les contours de I'ancien royaume du DanhomS, est aujourd'hui sous lacoupe politique de la Renaissance du Benin, le parti du president de la Rdpublique Nice"phore SOGLO, un fon d'Abomey. La region actuelle de 1' Oueme qui epouse les contours territoriaux de I'ancien royaume de Porto-Novo est sous l'hegemonie politique du Parti du Renouveau Democratique de Maitre Adrien HOUNGBEDJI tandis que sa grande rivale, l'autre parti dominant du Sud-Benin, la Renaissance du Be"nin est normalement dominante dans la region Atlantique-Zou, le territoire ou la zone d'influence de l'ex-royaume du Danhome. Le Mono est sous le controle hegemonique du Parti Social-De'mocrate de Bruno AMOUSSOU et le Fard-Alafia est solidement implante dans le Borgou. Comme par hasard, ce sont les quatre grands partis du B6nin actuel, les quatre grands vainqueurs des dernieres 61ections legislatives. La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 133 De ce qui precede, on voit bien que c'est done d'abord la conscience rtigionale qui renoue avec la fidelite politique aux anciennes entites socio-politiques de la peYiode pre-coloniale, qu'ilfautd'abordquestionnerpourcornprendreladynamique socio-politique du Dahomey colonial et du Benin du Renouveau d6mocratique. La regionalite devient ainsi pour nous la variable determinante la plus importante pour saisir la dynamique socio-politique du Bdnin du Renouveau ddmocratique. Done, la variable determinante est la regionalitd qui exprime 1'identitd et la conscience collectives dont le domaine de definition est la region, configuration socio-geographique proto-nationale qui ressuscite les anciennes entites politiques de la periode pre-coloniale. La region est peupl6e de plusieurs ethnies, sous 1' hegemonie d'une ethnie dominante. Elle a une physionomie socio-anthropologique et socio-politique bien precises, car epousant presque toujours les limites d'un ancien royaume de la periode pre-coloniale. Ainsi les fons avaient tous fait allegeance a l'ancien royaume du Danhome, de mSme que les a'izos, les toffins, les houedas etc., tandis que les gouns, leurs cousins, appartenaient eux, ainsi que d'autres ethnies comme les nagots (yorubas de 1'Oueme), a l'ancien royaume de Porto-Novo. En outre, la meme ethnie peut, de par les vicissitudes de 1'histoire, se trouver ecartelee entre deux ou plusieurs regions. C'est le cas par exemple des Yorubas du Zou-Nord (tchas) et de leurs congdneres de l'Oudme (nagots). Quoique partageant la meme culture et la meme langue et ayant la meme origine ife, elles se retrouvent dans deux entites regionales differentes, la region du Danhome et la region de l'Oueme. C'est aussi le cas des fons de 1'Atlantique et du Zou-Sud et de leurs congeneres goun de l'Oueme, comme nous l'avions dit. De ce qui se precede, on serait tente' de croire que le facteur ethnique est a minorer au Benin; il n'en est rien. La variable ethnique n'est pas absente du jeu politique beninois. En effet, nonobstant la primaute' de la region dans l'e'mergence des grandes formations politiques du Dahomey colonial et post-colonial et dans le Benin actuel, le facteur ethnique intervient dans un deuxieme temps au sein meme de ces grandes formations. D'abord au niveau de la distribution des postes au niveau de la direction du parti. Ainsi le president du PRD est un goun comme il se doit; mais le vice-president est un yorouba de Porto-Novo. Le PSD a pour leader un adja de Djakotomey, certes; mais le second personnage du parti est un hwla de Grand-Popo. L'ethnicite, comme on le voit, intervient d'abord comme facteur de revendication au sein des grands partis re"gionaux. Aussi, au-dela de la region comme parametre cimentant les affiliations partisancs aux partis dominants, l'ethnicite s'avere-t-elle a son tour comme une variable importante; ne serait-ce qu'a titre de facteur de revendication et de n6gociation politiques pour les postes au sein du parti et pour une repartition judicieuse des depouilles post-eiectorales. Quid maintenant du terroir? Avec cette derniere variable, nous passons du 134 Denis Amoussou- Yeye determinisme regional ouethnique au determinisme local. En effet, au niveau local du terroir, il y a lieu de noter un phenomene que nous avons denomme parochialite, reprenant le terme anglais "parochiality" que nous avons prefer^ a sa traduction franchise habituelle, le paroissisme ou l'esprit de clocher. En effet, nonobstant la pregnance de la region et l'ethnie, cette autre variable, la parochialite, est de'terminante pour expliquer le phenomene si universel de la prime electorate dont beneficie le fils du terroir, phenomene complexe sur le plan analytique. Voyons done. Bien que d'ethnie a'izo et appartenant a la Renaissance du Benin, le parti dominant dans ma region, je n'aurai aucune chance de me faire elire dans la sousprefecture de Ze, peuplee d'ai'zos comme moi, alors que j'ai toutes les chances de l'etre dans la sous-prefecture de Toffo, mon terroir devenu mon fief electoral et dont je suis l'un des notables politiqucs. Pourquoi? Le facteur parochial est laseule explication a ce phenomene qui n'est pas d'ailleurs propre a l'Afrique. La democratic representante moderne est nee avec des elus qui etaient avant tout des notables de leur coin, des gens avec qui on frequentait souvent la meme paroisse le dimanche; d'oii la notion de paroissisme ou esprit de clocher. Ce phenomene demeure encore pregnant dans les campagnes franchises et anglaises. II prend corps au Benin comme ailleurs en Afrique, comme en font foi les resultats aux dernieres elections legislatives ou ce sont les partis qui ont su positionner judicieusement des fils du terroir qui ont pu tirer leur epingle du jeu. Le positionnement du fils du terroir est devenu un dogme au niveau de tous les partis politiques du Benin du Renouveau democratique. C'est le cas tant a la Renaissance du Benin, au PRD, a Fard-Alafia qu'au PSD. La parochialite est un phenomene socio-anthropologique et socio-politique complexe; le terroir en question, en effet, epouse les limites geographiques de la sous-prefecture actuelle qui n'est pas forcement idoine avec les subdivisions territoriales des royaumes pre-coloniaux, sauf peut-etre au Danhome, a Porto-novo et dans le Borgou. II est assez recent dans le Mono, entite socio-politique moins integree que ses anciens protagonistes; mais il se forge ici aussi progressivement, soit de par 1' impact de la division territoriale coloniale, soit par imitation des autres regions. Dans le cadre du present projet de recherche, nous allons tenter de mcttre surtout en evidence l'impact du facteur cthnique dans certaines demarches politiques. D'ou la problematique centrale de notre recherche eu egard aux termes de reference du Groupe Multinational de Travail sur l'ethnicite et la democratic en Afrique; a savoir, comment mettre a nu les traces des manifestations de l'ethnicite par-dela la pregnance de l'identite regionale ou parochiale? Cela nous amenera a operer une analyse theorique pour rendre compte des liens entre la region, l'ethnie et le terroir, trois variables determinantes dans la dynamique socio-politique du Benin du Renouveau democratique. La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 135 La Demarche Methodologique Nous formulons les hypotheses de recherche suivantes: - l'existence de la conscience cthnique est indeniable au Bdnin, quoique n'etant pas la seule variable determinante du comportement politique dans la situation de transition democratique que vit le pays; meme si elle se subordonne a d'autres identites socio-historiques qui forcement n'epousent pas les lignes des identites ethniques, a savoir la region et le terroir; - les lieux de reperage des traces des manifestations ethniques se situent a l'interieur de la region, entite proto-nationale sans homogeneite ethnique mais souvent sous l'hegemonie d'une ethnie dominantc. La notion de purification ethnique a la yougoslave n'a, comme on le voit, aucun sens ici. Les antagonismes dans la region prendraient plutot Pallure d'une "lutte de classe" dominants-domines oil les revendications ne sont pas de caractere culturel, mais plutot politico-economique; - le terroir est toujours le "fief d'une ethnie donnee; aussi est-il souvent denie a un ressortissant d'ethnies minoritaires dans le terroir une quelconque prevention a s'eriger en leader socio-politique de ce terroir. Les luttes pour le leadership dans le terroir prennent souvent des allures de revendications a coloration ethnique ou se melent des exigences de sauvegarde de l'identite culturelleet des demandes denature socio-politique ourarementeconomique; - les reflexes de demarcation regionale se manifestent plutot lors des elections presidentielles. A ce propos, celles de 1991 et de 1996 sont illustratrices; L'esprit du terroir (parochialisme) et la conscience ethnique, en de-ga de 1' identite regionale, se conjuguent pour interferer surtout sur les resultats des elections legislatives et locales. L'existence de circonscriptions electorates plus petites en 1996 ou le de'partement, autrefois circonscription unique, a ete di vise en trois circonscriptions plus petites, quand bien meme le mode scrutin (scrutin de liste a la representation proportionnelle) £tait le meme, a favorise dc par le petit nombre des deputes a 61ire dans chaque circonscription, l'exacerbation des revendications parochialo-ethniques plus qu'en 1991 ou la circonscription electorate se confondait avec le departement. Ce sont toutes ces hypotheses que nous allons dissequer au cours de la pr^sente etude. Pour ce faire, nous allons compulser les resultats des elections presidentielles et legislatives de 1991, de 1995etde 1996. Cela nous permettrade confirmerou d'infirmer les hypotheses ci-dessus formutees. Aussi les resultats a ces elections nous permettront-ils de saisir, en ce qui concerne les elections legislatives, le sens des apres luttes pour le leadership local, l'impact du phe'nomene du fils du terroir et les manifestations de luttes politiques a caractere ethnique a ce niveau. Nous serons ainsi en mesure de mettre en evidence ladynamique ethnique en oeuvre dans le jeu politique dans un contexte de transition democratique comme celui du Benin 136 Denis Amoussou- Yeye actuel. Les elections presidentielles par contre, sont le theatre d'expression de l'identite et de la conscience regionales. II sera alors possible d'operer une clarification theorique des notions comme la rdgionalite, la parochialitdetl'ethnicit^ et de mettre en exergue les liens theoriques et pratiques qui existent entre elles. Deuxieme Partie Facteurs Determinants De La Dynamique Socio-Politique Dans Le Benin Actuel Les facteurs determinants de cette dynamique socio-politique sont differents suivant que nous sommes dans le contexte electoral des election presidentielles ou dans celui des elections legislatives. Dans le premier cas, la conscience re'gionale s'affirme dans toute son intensite, alors que le facteur ethno-parochial est preponderant en cas d'eiections legislatives et certainement au cours des elections locales a venir. Le Benin compte six (6) departements, a savoir l'Atacora, l'Atlantique, le Borgou, le Mono, l'Oueme et le Zou. Les deux departements du Nord du pays (l'Atacora et le Borgou) forment pour l'instant une seule et meme region, le Nord. L'Atlantique et le Zou en forment une autre, le Danhome, tandis que le Mono et POueme constituent chacun une region a part entiere. Voyons d'abord I'expression de la conscience region ale au cours des elections presidentielles passers. Les Elections Presidentielles De Mars 1991 Et De Mars 1996 Ou Le Triomphe De La Conscience Regionale Les departements de 1' Atacora et du Borgou dans la partie septentrionale du Benin, se sont jusqu' ici comporte comme appartenant a un meme espace regional, le Nord. Parmi les treize candidats a participer au premier tour des elections presidentielles, deux candidats ressortent de cette entite regionale. II s'agit du general Mathieu KEREKOU, President de la Republique en exercice et de monsieur Bertin BORNA. II est a noter qu'ils sont tous les deux originaires du departement de l'Atacora; aucun ressortissant du Borgou ne s'est porte candidat. Le Departement de l'Atlantique et le Zou constituent l'espace ge'ographique de Fex-royaume du Danhome; cependant, il y a lieu de noter que le Zou-nord ajusqu'ici un comportement socio-politique deroutant; tantot, de par les rancoeurs nees de l'Histoire pre"- coloniale, il a des velle'ites irredentistes et se tourne plutot vers le Nord, tantot il assume sa vassalite" politique avec le royaume du Danhome dont il 6tait incontestablement la zone d' influence. Les resultats du Zou-nord sont mitiges pour les deux elections presidentielles, celles de Mars 1991 et celles de Mars 1996. Malgre cette reserve, nous maintenons pour la commodite de l'analyse 1 'Atlantique et tout le Zou dans une seule et meme region historique, le Danhome. Le departement de 1'Oueme est le berceau de 1 'ex-royaume de Porto-Novo. L'originalite des ouemenous (en majority des gouns), par rapport a leurs "cousins" fon du Danhome' est qu'ils cohabitent avec une forte colonie yorouba. La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 137 Le d6partement du Mono pose probleme dans la mesure ou le Nord adja tend a se regrouper derriere Bruno AMOUSSOU, un adja de Djakotomey, tandis que le Sud, comme par le passe, loucherait plutot vers l'aire politique de l'ex-Danhome; neanmoins le Mono est une seule et meme region. Car on parlerait difficilement d'une region adjadifferenciee dont les limites g^ographiques serait le Mono-Nord. Enfin, il n'est pas sur que le phenomene Bruno AMOUSSOU ne soit pas passager et que tot ou tard, Ie Mono dans son ensemble, peuple" d'ethnies culturellement tres proches des fons avec qui elles constituent la souche gbe, ne guignerait pas de preference vers les hommes politiques du Danhome. Tableau I: Appartenance Ethnique et Regionale des Candidate Candidat ADJOVI Severin AMOUSSOU Bruno BORNA Bertin DOSSOU Robert FASSASSI ASSAN1 GOUDOU Thomas HOUNGBEDJ1 Adrien HOUNGBEDJI Gatien KEREKOU Mathieu LEMON Idelphonse W. MENSAH Moise SOGLO Nice>hore TEVOEDJRE Albert Ethnie fon adja gouroumantche' Hwla ou popo yorouba fon goun goun wama fon hwla ou popo fon goun Region Danhome (Alantique et Zou) Mono Le Nord Mono Oueme Danhome Oueme Ouem6 Le Nord Danhome Mono Danhome Oueme 138 Denis Amoussou- Yeye La Mise En Evidence D'un Paradigme Nouveau Lore Des Elections Legislatives De Fevrier 1991 Et De Mars 1995: L'ethno-Parochialite Dans l'euphorie du succes de la Conference Nationale, les vieux my thes fondateurs avaient refait surface. Unite et cohesion nationales, libertes et droits de l'homme, developpement. Cette ideologic a influence les debats sur le mode de scrutin et la taille de la circonscription electorale. Le scrutin majoritaire fut rejete au benefice du scrutin de liste a la representation proportionnelle, parce qu'on voulait eviter tout monolithisme politique, le souvenir des 17 ans du PRPB etant encore vivace, et favoriser l'expression plurielle des sensibilites politiques. Cependant, en ce qui concerne la taille de la circonscription, les debats furent vivaces entre les tenants de l'unicite territoriale (liste nationale) et les partisans d'une circonscription electorale plus petite afin de rapprocher l'elu de ses electeurs. Les joutes oratoires furent d'autant plus vives que ces derniers avaient deja cede sur l'une de leurs exigences initiales: le scrutin majoritaire uninominal. Comme c'est le scrutin de liste a la representation proportionnelle qui retient l'agrement de la majorite, les tenants de la liste nationale durent faire cette concession importante aux partisans du scrutin uninominal: la circonscription electorale sera le territoire du departement actuel. II y avait done six (6) circonscriptions electorales : - l'Atacora; - l'Atlantique; - le Borgou; - le Mono: - l'Oueme; - le Zou. Dans les faits, lors de la confection des listes departementales de ces candidats et leurs suppleants, chaque parti politique, tiendra compte du poids local des candidats. Rejoignant par un effet pervers courant en science politique les tenants du scrutin uninominal, chaque parti politique se conduira en fait comme si la liste des candidats devra etre une addition des candidatures locales. La localite ici est le territoire suffisamment vaste pour faire elire un depute; cela epouse done grosso modo les limites de la sous-prefecture actuelle. Etant entendu que chaque sousprefecture est habitee par une ethnie dominante, on positionne de preference un candidat issu de cette ethnie dominante. D'ou la pertinence de notre paradigme de l'ethno-parochialite. Nous ne sommes pas ici en presence de l'ethnicite dans son sens litteral. En effet, un aizo de la sous-prefecture de Toffo a toutes les chances de l'emporter a Toffo plutot qu'un fon de la meme localite; mais le meme aizo n'a aucune chance de l'etre a Abomey-Calavi pourtant peuple majoritairement du meme groupc ethnique aizo! Conclusion Partielle: Ethnicite Ou Ethno-Parochialite? Malgre des circonscriptions electorales plus petites et le respect par les partis La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 139 politiques de la regie implicite du positionnement du fils du terroir (la sousprefecture), les resultats seraient a priori incompre'hcnsibles aussi bien lors des elections legislatives de Fevrier 1991 que lors de celles de Mars 1995, si on se fie seulement a la force du facteur ethno-parochial. Nous allons prendre a titre illustratif le cas de 1'Atacora. Nous verrons derechef la pertinence de la demarche ethno-parochiale empiriquement adoptee par les partis politiques en analysant leurs resultats a ces elections legislatives. Dans la lere circonscription electorale de 1'Atacora ( Boukoumbe, Cobly, Materi, Tanguieta), Boukoumbe seule rafle deux (2) des trois deputes en liste. Tanguieta a vote pour son fils, tete de liste MNDD qui est ainsi elu depute. Mais ni Cobly, ni Materi, n'ont pas su reconnattre apparemment et voter pour I'un de leurs fils et n'ont pas par consequent de representants a 1' Assemblee Nationale! Dans la 2eme circonscription electorale (Kerou, Kouande, Natitingou, Pehounco, Toucountouna), Natitingou seule reussit a faire elire trois de ses "fils", Kerou a reconduit le fils du terroir qu'elle avait deja envoye a l'Assemblee Nationale en 1991. Quant a Kouande, Pehounco, Toucountouna, elles sont restees Gros Jean comme devant. Toucountouna n'aplus massivement porte ses voix sur celui de ses fils qui avait ete elu depute en 1991. Quant aux autres, elles n'avaient pas de deputes en 1991, elles n'en ont pas non plus en 1995; pourtant beaucoup de fils du terroir avaient ete positionnes. Dans la 3eme circonscription electorale ( Bassila, Djougou, Copargo, Ouake) Djougou et Ouake se tirent derechef d'affaire et meme plus. Si Ouake n'a reussi qu'a envoyer un seul de ses fils qui sera d'ailleurs ministre dans le gouvernement SOGLO (au lieu de 2 comme en 1991), Djougou a reussi cette fois-ci a conserver pour elle seule trois (3) des 4 sieges en competition! Cela nous amene a questionner d'autres variables determinantes nonobstant la pertinence de la variable ethno-parochiale. D'aucuns ont souligne 1'importance de l'argent. Les candidats les plus fortunes (ceux de Natitingou et de Djougou en 1 'occurrence, car ces deux villes sont les plus riches du departement) auraient attire vers eux la majeure partie des electeurs de la circonscription qui auraient ainsi abandonne leurs freres de la meme ethnie et de la meme sous-prefecture. II y a certainement une part de verite dans cette hypothese. Cependant, nous opterions plutot pour Phypothese selon laquelle I'attachement au terroir en tant que tel est moins prevalent dans cc departement et que nous serions en presence de la surdetermination de la variable ethnique dans sa purete initiale. En effet, sur les 11 deputes eMus en Mars 1995,6 sont du grand groupe ethnique "somba" (betamarbe, wamas, natimbas) et sont 61us dans les sous-prefectures de Boukoumbe, Natitingou, Tanguieta (Atacora Nord). Djougou et Ouake sont lc berceau du grand groupe ethnique dendi et assimiles comme les yoms et les lokpas (Atacora Sud). Elles raflent a elles seules 4 deputes (3 pour Djougou et I pour Ouake). L'auire grand groupe ethnique, le groupe allogcnebariba, a derechef 1 seul 140 Denis Amoussou-Yeye depute (Kerou). Nous sommes done en presence ici de la prevalence de Fethnicite" proprement dite et non pas encore de F ethno-parochialite ou se combinent les liens ethniques avec l'attachement au terroir. Bien plus, il y a lieu de noter que ces deputes n'appartiennent pas tous a des partis dont les leaders sont de l'Atacora. Deux (2) deputes (1 wama et 1 dendi) appartiennent au Parti du Renouveau Democratique (PRD), parti hegemonique dans l'Oueme, tandis qu' un (1) autre e"lu wama est du PCB (Parti Communiste du Benin). Nous aurons au contraire la preuve de la force de la variable ethno-parochiale, en examinant les resultats des deux departements de 1' Atlantique et de 1 'Oueme' qui quoique les plus riches du Benin ou peut-etre a cause de cela, savent faire prevaloir respectivement leurs interets locaux. Les elections legislatives de Fevrier 1991, peut-etre parce que faites dans l'euphorie de la Conference Nationale avec la resurgence de la vielle mystique de F unite nationale, ont semble infirmer la these de la primaute des preoccupations ethno-parochiales. En effet, meme dans Fetablissement des listes electorates, les partis qui ont tous leur siege a Cotonou, ont eu tendance a positionner les cadres du parti evidemment tous demeurant a Cotonou que des lieutenants du parti, notables locaux. Ainsi dans le departement de l'Atlantique, les sous-prefectures d'Abomey-Calavi, d'Allada, de Kpomasse, de S6-Ava, de Tori-Bossito et de Ze, n'ont envoye aucun de leurs fils candidats a la deputation comme leur representant a 1' Assemblee Nationale. Seule Toffo (2 deputes), Ouidah (4 deputes), Cotonou (8) deputes, ont semble-t-il su tirer leurepingledujeu. A ladeuxieme legislature, les ressortissants des sous-prefectures "blousees" lors des elections de Fevrier 1991, ne s'en laisseront plus compter, comme nous le verrons plus loin. En effet, aux deuxiemes elections legislatives, celles de Mars 1995, il semble que le re veil de laconscience ethno-parochiale a ete total dans l'Atlantique. Toutes les sous-prefectures ont su envoyer au moins un de leurs fils candidats a 1'Assemblee Nationale. Seule Ouidah n'avait pas elu directement de depute originaire de cette ville; mais le suppleant de monsieur Antoine Alabi GBEGAN, Ministre de FInterieur et de la Securite Publique de Nicephore SOGLO a l'epoque, premier titulaire sur la liste RB de la deuxieme circonscription, etait sur de le remplacer a F Assemblee Nationale parce que ce ministre. Fun des bras droits du President SOGLO, etait assure de conserver son porte-feuille au moins dans le prochain remaniement ministeriel. Deja lors de l'etablissement des listes des candidats, chaque parti ou groupe dc partis avait veille autant que possible (parce qu'il peut arri ver que le nombre de sous-prefectures soit superieur au nombre de deputes qui revient a la circonscription) que toutes les sous-prefectures aient Fun de leurs fils positionne, sinon sur la liste des titulaires, du moins en bonne place sur la liste des suppleants. Cctte prise en compte generalisce du paramctre cthno-parochial lors de l'etablissement des listes aux elections legislatives, sera certainement desormais une constantc dans la vie politique beninoise. Nous verrons la meme evolution, a La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 141 savoir la ne"cessite" de la prise en compte du facteur ethno-parochial, se dessiner pour tous les de"partements du SUD surtout. En effet, a cette premiere legislature, les sous-prefectures suivantes du departement de l'Oue'md n'ont pas pu tirer leur epingle du jeu en envoyant l'un de leur fils les "representer" a l'Assemble'e Nationale. II s'agit de : 1. Ague"gues (ethnies dominantes: toffin et we"me) 2. AKpro-Misse'rete' (ethnies dominantes: setto et yorouba) 3. Bonou (ethnie dominante: w^me) 4. Dangbo (ethnie dominante: weme) 5. Ifangni (ethnie dominante: yorouba) 6. Adja-Ouere (ethnie dominante: yorouba) 7. Pobe (ethnie dominante: yorouba) Soit sept (7) des 14 sous-prefectures! Par contre, ces sept (7) autres sous-prefectures du de"partement retrouvent par le hasard des votes l'un des leurs, depute a l'Assembiee Nationale. II s'agit de : 1. Adjarra (ethnie dominante: setto) (2 deputes) 2. Adjohoun (ethnie dominante: w^me) (1 depute) 3. Avrankou (ethnie dominante: tori) (1 depute) 4. Ketou (ethnie dominante: yorouba) (1 depute) 5. Porto-Novo (ethnie dominante: goun) (4 deputes) 6. Sakete (ethnie dominante: yorouba) (1 depute) 7. Seme-Podji (ethnie dominante: toffin-hlwa) (1 depute) Porto-Novo s'est meme paye le luxe de rafler 4 des 11 deputes revenant au departement de l'Oueme (alors que son poids demographique ne lui permettait que d'avoir 2 deputes). La petite sous-prefecture d'Adjarra, peupiee d'une ethnie minoritaire, les settos, a eu deux de ses fils eius! La variable ethno-parochiale semble n'avoir pas beaucoup joue lors de ces premieres elections legislatives du Renouveau democratique; parce que 1 'influence et la persuasion des partis politiques etaient alors encore pregnantes. Ce ne sera plus le cas lors des elections legislatives de Mars 1995 ou une sous-prefecture, si son poids demographique le lui permet, fera tout pour faire elire ineluctablement l'un de ses ressortissants. II restera malgre tout des sous-prefectures qui n'ont pas pu tirer leur epingle du jeu. II s'agit encore des Aguegues, d'Akpro-Misserete, de Bonou, d'Ifangni et de Pobe comme lors des elections legislatives de Fe" vrier 1991. Comment comprendre cette "tuile"? Nous pouvons expliquerceci par le fait que ces sous-prefectures sont trop petites de"mographiquement pour pouvoir beneficier d'un eiu et que malgre leurs reports massifs de voix sur l'un de leur fils bien place sur Tune des listes en presence, celui-ci n'est pas parvenu a trancher faute d'un score suffisant; ce qui favorise derechef les concurrents des sous-prefectures voisines plus vastes et capables d'eiire par elles-memes l'un de leur "fils". C'est en effet le cas de la petite sous-prefecture des Aguegues, d'Akpro-Misserete, de Bonou, d'Ifangni et de 142 Denis Amoussou- Yeye Pobe, deja laissees pour compte en 1995. Le cas de Bonou est illustratif a cet egard. Le fils du terroir politiquement connu est le president du Parti de l'Environnement, de la Solidarite et de la Justice (PESJ). II n'a pas de concurrent serieux, aussi celebre et surtout bien place sur l'une des listes. Presque toute la sous-prefecture de Bonou a vote pour cet honune politique, tete de liste de son parti dans la circonscription; mais il n'a pas ete elu tandis qu'Adjohoun, la sous-prefecture voisine, peuplee pareillement de Wemes, a la chance de voir deux (2) de ses fils (Messieurs Falove SOUNOUVOU et Robert TAGNON) elus! L'action Conjuguee Des Variables Regionalite, Ethnicite, Ethno-Parochialite Et Autres Lors Des Elections Legislatives Nous avons vu 1'importance determinante de la variable ethno-parochiale ou accessoirement ethnique tout court lors des elections legislatives dans le Benin du Renouveau democratique. Une question tres interessante se pose. Qu'est-ce qui fait la difference quand deux fils du meme terroir sont bien positionnes (premier sur la liste des titulaires) sur des listes rivales? II y a d'abord bien sur, les moyens dont dispose le candidat, ensuite viennent des parametres comme l'audience regionale du parti, le souticn efficace qu'apporte un suppleant du meme milieu; mais dans tous les departements, ce sont les partis regionalement dominants qui ont arrache le plus grand nombre de deputes, laissant la portion congrue aux partis de leaders allogenes. Done par ordre de croissance des variables determinantes dans le choix d'un depute, nous avons 1'implantation regionale du parti auquel appartient le candidat, l'homogenie ethnique, l'appartenance au terroir, puis enfin l'equation personnelle du candidat (moyens materiels, influence locale, bonne campagne, appui apporte par le suppleant du meme terroir). Nous avons remarque que la plupart des elus, appartiennent pour l'ensemble au parti regionalement dominant et pour certains, ont ete aides par la presence a leurs cotes d'un suppleant de la meme ethnie ou du meme terroir. En conclusion, se trouve confirmee l'hypothese de la determination en premiere instance du parametre regional, suivi de la variable ethnicite puis enfin de la variable ethno-parochialite et autres (equation personnelle). Conclusion Generale Tous les hommes politiques et les cadres beninois interesses par lapolitique, savent desormais que leur poids politique se mesurera a leur influence et leur implantation dans leur sous-prefecture d'origine ou de residence privilegiee le cas echeant. Celui qui aura reussi a se faire elire comme le seul ou I'un des deputes de sa sousprefecture, devient ipso facto un grand electeur local que son propre parti respectera, que tous les partis politiques courtiseront, soil pour avoir un nombre plus grand de deputes a 1' Assemblee Nationale, soit pour bloquer les voix de cette La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 143 sous-prefecture en vue de futures elections presidenticlles. En I'occurrcnce, il est conseille d'etre membre du parti regionalement dominant. Cependant, la force determinante de ce parametre ethno-parochial sc retrouve plus dans les departements meridionaux du pays (T Atlantiquc et l'Oueme et dans une certaine mesure le Mono et le Zou, que dans les deux departemenis du Nord (I'Atacoara et le Borgou). Nous savons par exemple que dans l'Atacora, la conscience ethnique dans toule sa purete l'a encore emporte lors des elections legislatives de Mars 1995, contrairement a ce qu'on peut observer dans les departements de 1'Atlantique et de l'Oueme ou apres le "cafouillage politique" dc Fevrier 1991, le terroir s'est revele comme le principal facteur determinant des votes. Les partis politiques et les listes de partis politiques tiennent serieusement compte de l'implantation personnelle dans telle ou telle sous-prefecture lors de l'etablissement des listes electorates. Pourquoi la sous-prefecture s'est revelee comme le maillon le plus petit de la conscience collective surtout chcz les cadres, alors qu'elle est une subdivision administrative? Nous touchons la l'un des problemes les plus complexes de la sociologie des groupes, a savoir comment Faction deliberee de l'homme, en l'occurrence le decideur politique, peut avoir une influence decisive dans le fac,onnement des identites collectives. Le phenomene de la suprematie politique du notable bien implante dans un terroir existe bien aussi dans les pays developpes; d'oii d'ailleurs les mots comme esprit de clocher ou paroissisme (parochiality en anglais, d'ou notre neologisme de parochialite). Cette variable determinante dans la vie politique de ces pays, en ce sens ou le depute, en France ou en Angleterrc est d'abord le depute d'une ville ou d' un comte. est le facteur determinant de la physionomie des elections legislatives. Notes * Directeur de recherche au CEFORP. Directeur du CERED. Univcrsite Nationale du Benin. Bibliographie Sommaire Adamon, Afize D. (1995) Le Renouveau Democratique au Benin, la Conference Nationale des Forces Vives et la Transition, Edition du Journal Officiel Porto- Novo. Ahanhanzo-Glele, M. (1969) Naissance d'un Etat Noir. le Dahomey de la colonisation a nos jours. Librairie Generate de Droit et dc Jurisprudence, Paris. Amin, S. (1973) Le Developpement Inegal. Ed. Minuit, Paris. Amselle, J.L. (1992): La Corruption et le clientelisme au Mali et en Europe de l'Est: Quelques Points de Comparaison. Cahier d'Etudes Africaines xxxii (4) n. 128. Bayart, J.F. (1992): L'Etat en Afrique. La Politique du Ventre. Fayard, Paris. Banque Mondiale (1989): "I'Afrique Subsaharienne. De crise a une Croissance Durable. Etude de Prospective a Long Terme". Washington. 144 Den is A moussou - Yeye Copans, J. (1990): La longue Marche de la Modemite Africaine. Savoirs, lntellectuels, Democratie. Karthala, Paris. Collectif: (1977) Le Nouveau Dossier Afrique, Marabout, University. Collectif. (1973) La Civilisation du Monde Contemporain. Georges Lang, Paris. Duhamel, Olivier. (1993) Les Democraties, Regimes, Histoire, Exigences, Paris, Le seuil. Durkheim, Emile. (1987) Les Regies de la Methode Sociologique, P.U.F, Paris. Espstein, A.L. (1958) Politics in an Urban Community. Manchester University Press, Manchester. Eteki-Otabella, M.L. (1988 & 1968) in L'Etat et les Sciences Sociales en Afrique. Actes de la 6e Assemblee Generate du Codesria, Dakar. Etudes Dahomeennes (Nouvelle serie) NE 12 (Tomel) Avril, IRAD. Floret, J. (1973). S. Amin ou le cheval de Troie des bourgeoisies nationales/ Sous le Drapeau du Socialisme, n. 60, mai-juin. Fondation Friedrich Naumann. (1994) Les Actes de la Conference Nationale Cotonou du 19 au 28 Fevrier 1990) ONEPI. Fondation Friedrich Naumann. (1995) Assemblee Nationale du Benin, lire et 2eme Legislatures (1991-1995). ONEPI. Fundation Konrad Adenauer. (1994) Mode de Scrutin et Financement des Campagnes Electorates dans une Democratie Pluraliste. Colloque National tenu a Cotonou du 11 au 14 Mars. Gbado, Beatrice: (1989) En Marche vers la liberte, Cotonou. Godin, F. (1986) Benin 1972-1982: La logique de VEtat Africain. Editions l'Harmatan, Paris. Hazoume, G.L. (1972) Ideologies Tribalistes et Nations en Afrique: le cas Dahomeen. Presence Africaine, Paris. Hountondji, P. (1977): Surla "Philosophie Africaine". Maspero, Paris. Hountondji, P. (1988) in L'Etat et les Sciences Sociales en Afrique. Actes de la 6e Assemblee Generate du Codesria, Dakar. Kabou, A. (1991). Et si VAfrique Refusaitle Developpement. L'Harmattan, Paris. Lexique des Termes Politiques Editions de 1'Agence de Presse Novosti, Moscou, 1982, pp. 251-264. Lombard, J. (1965) Structures de type Feodal. Etude des Dynamismes Internes et des Relations Sociales chez les Baribas du Dahomey. Mouton et cie, Paris. Malloy J. (ed.) (1915)Authoritarism and Corporation in Latin America. Pittsburg, University of Pittsburg Press, p. 215. Meidero (de) Francois: (1984) Peuples du Golfe du Benin Adja-Ewe, Paris, Karthala. Mondjannagni, A. (1977) Campagnes et villes au Sud de la Republique du Benin. Mouton, La Haye. Nnoli, O. (1989) Ethnic Politics in Africa. Vantage Publishers, Ibadan. La Dimension Ethn. dans la Dynam. Socio-Pol. du Benin du Ren. Democ. 145 O'Connell T. (1967) The Inevitability of Instability. Journal of Modern African Studies, pp. 181-189. Poulantzas, N. (1974) Fascisme et dictature. (ed.) du Seuil, MaspeYo, Paris. Poulantzas, N. (1975) Pouvoir politique et classes sociales. MaspeYo, Paris. Simeon, Jean-Pierre. (1977) Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social, Paris, Le Seuil. Trotski, L. (1936) La Revolution Trahie. Paris. Wallerstein L. (ed.) (1960) Social change: the colonial situation. Wiley and Sons, New York.