Afr. j . polit. sci. (1999). Vol. 4 No. 1,63-82 Societe Parallele, "Mobutucratie" et Nationalisme Post-colonial en Republique Democratique du Congo T.K. Biaya* L'objet et son Analyse Le concept de societe parallele pose en lui-meme probleme puisque le qualificatif qui n'a et6 jusqu'ici reserve qu'a l'economie, affecte la socie'te' dominee et cree ainsi une nouvelle probl6matiquc Celle d'une society marginalised, politiquement et e'conomiquement, qui fonctionne de maniere independante des structures etatiques alors qu'elle vit sur un territoire national. En plus ses membres se reconnaissent comme des citoyens du pays mais ils n'en respectent pas les lois (devoirs et obligations). Si en economic pareille phenomene n'a pu etre observe' jusqu'a ce point, l'experience de la socidtd congolaise forte d'un siecle d'une histoire de predation, d'exploitation et de violence dtatiquc arbitraire coloniales et postcoloniales, a, quant a elle, permis la mise en place d'une pareille entite fonctionnanl dans une complexite des relations faites d'insubordination, de complicites multiples et d'ille'galite rehaussee d'une quete de plus de democratic L'objet "societe parallele" n'est pas moins l'ensemble des populations ethniques organisees et constituant l'"6tat local"; il est a la fois le fruit d'un mode de domination et du modele d'accumulation auxquels a recouru I'Etat central pour se maintenir et entretenir la classe dirigeante. Dans cette contribution, il ne s'agit point d'etudier les causes ni la maniere dont lacrise actuelle s'est mise en place et articule les diff£rentes composantes sociales et politiqucs de la societe' congolaise. Au contraire, notre objet d'analyse demeure les composantes, le fonctionnement et le sens de la societe" parallele: comment s'est-elle erigee et comment fonctionnet- elle pour pouvoir donner une identite multipolaire (ethnique, regionaliste, religieuse, de loisir, etc.) au Congolais, quelle est sa valeur dans le nationalisme 1027-0353 © 1999 African Association of Political Science 64 T.K. Biaya congolais? Cette identite dont I'historicite s'inscrit dans un regime de domination s'articule autant sur la nation postcoloniale que sur l'ethnicite et le regionalisme qui se sont forges des la peYiode coloniale. L'analyse de la societe parallele ne suivra pas le dualisme reducteur qui consiste, en science politiquc et en sociologie africaines, a opposer les pratiques des dirigeants et des elites dits "le haut" aux modes populaires d'action ou la resistance cachee des masses constiluant "le has" (Bayart 1987, Scott 1985). Au contraire, plus que ce dualisme assechant existe une complexite de relations et des rapports politiques, sociaux, economiques et culturels qui traversent la societe globale et qui rongent les territoires de l'Etat dans lesquels les dirigeants et les diriges ont install^ confortablement leurs actions et activites. Cette dynamique a tisse un cadre dans lequel s'inscrivent leurs rapports politiques et economiques conflictuels. L'emergence d'une societe parallele au Congo ressortit d'une dynamique complexe ou la societe congolaise entiere et ses differents segments sociaux sont iinpliques et interagissent a la fois selon leurs interets politiqucs et/ ou economiques tantot convergents tantot divergents. Cette conflictualite en constitue le coeur. Face a l'erection de la societe parallele, l'analyse de la criminalisation de l'Etat pour attendue et stimulante qu'elle soit, n'offre que peu de ressources pour "comprendre" la societe parallele congolaise comme une cntite politico-economique historiquc et culturelle autonome, puisque l'inscription de cette approche dans le juridisme, fondateurde l'illegalite nationale et internationale, limite l'analyse aux comportements criminels (Bayart, Ellis et Hibou 1997). Puisque l'etude de pareilles societes n'est pas son objet, clle ne prend pas en comptc les differentes dynainiques qui composentet recomposent cette societe nin'analyse ses pratiques qui marginsalisent l'Etat central au Congo. Dans sa production contre 1 'Etat central et hegemonique, la societe parallele a autant beneficie du soutien, souvent conscient. de la classc dirigeante congolaise postcoloniale , avide dc "puiser" davantage les richesses, que des contraintes de la mondialisation. Dans cette dialectique des forces ou d'actions sociales que rapprochent les interets cominuns -ceux dc predation, deux facteurs ont stimule et renforce un pouvoir local qui s'est appuye sur le pouvoir ethnique deja en place: la domination sauvage et les consequences des politiques nationalcs desaslrcuses qui ont, en outre, declenche I'opposition politique et la constestation du memc regime dominant. Ce proccssus fort complexe ne se laisse analyser qu'en admettant que l'illegalite, dans son utilisation politique, s'est erigce en un propre. Propre a partir duquel les populations congolaises ont negocie leur propre existence comme etant a la fois des individus ethniqucs et des citoyens dc la Republique. Et a partir de ce propre -cette base, elles ont monte des strategies pour combattre, voire pour s'allier l'Etat contre les interets de l'Etat national el des institutions financieres internationales sans que pour autant elles ne se replient sur elles-mcmes. Au contraire, elles dcploieront une Societe Parallele, "Mobutucratie" et Nationalisme Post-colonial en RDC 65 dynamique d'inscription dans I'dconomic mondiale a partir des rdseaux ethniques et rSgionaux economiques se d^ployant sur le marchd mondial et dans le respect des structures dconomiques locales qui en re'sultent. Cette structure socioeconomique repose sur une idcologie selon laquelle elle est destined a promouvoir la survie de l'ethnie ou de la region. Nous y reviendrons plus loin. Dans ce processus, la socidte parallele se cree une base economique, si minime soit-elle, variant d'un groupe ethnique a l'autre indiquant que le processus d'exclusion politique que Ilunga-Kabongo (1984:13-28) analysaen termes de "zone d'existence" et "zone d'inexistance" de la societe civile "zairoise", a debouche sur une trajectoire inattendue qui s'est complexifiee apres 1984 (Biaya et Omassombo 1993: 97-127). Les pratiques predatrices de la classe dirigeante n'ont pas que violente et force les populations a vivre en dehors de l'Etat mais elles leur ont permis d'innover des schemas du vivre ou l'urbanisation des villages et la villagisation des villes ont genere des recompositions sociales et des configurations politiques nouvelles creant une societe civile dont les relations et jeux de pouvoir vont du village a Kinshasa, la capitate qui est le lieu de la d6cision etatique negociee ou monnayable. Dans ce contexte de modernite indocile se construisant a l'aide des pratiques subversives (Biaya et Bibeau 1998: 5-13), L'Etat a cesse de penetrer en brousse mais c'est la logique de la brousse qui a fait irruption en ville avec ses pratiques originales, son reseau economique et sa culture politique ethnique. Des lors, la "gouvernance" ou "la gouvernementabilite" du Congo prendra une voie deroutante pour la classe dirigeante, les elites et les chercheurs, y compris la Banque Mondiale. Et c'est au coeur de cette "formalite" sociale et politique que nous essaieront de recherchcr le nationalisme et son sens en republique democratique du Congo. La Societe Parallele, une Revanche de la Marginalisation Politique La Marginalisation Politique et Economique Lesieclede la modernite congolaise a etd unclonguenuitou 1'imposition de l'Etat moderne par la colonisation a ete un despotisme administratif a moindre frais que l'Etat mobutien et sa direction — la mobutocratie - prolongerent jusqu'a la parodie de l'Etat qui n'avait de legitimite que celle internationale alors que la classe dirigeante coloniale et postcoloniale avait deja criminalise cet Etat des sa naissance. Trois etapes indiquent mieux cette mise en place de la societe parallele a travers le double me'eanisme de marginalmisation politique et Economique qui, en retour, aura permis aux citoyens de s'evader des pratiques arbitaires etatiques pour s'autogerer parfois dans une violence ou la main dc l'Etat pyromane servait des int6retssouventcontradictoireset"peurationnels" en termes politiques. Differentes periodisations et syntheses de 1' histoire du Congo existent, mais dans son Rapport 66 T.K. Biaya general (Kinkela 1993: 135-199), la Conference nationale souveraine du Congo re'sumait ainsi cette histoire: "L'histoire du peuple congolais a ete, de tout temps, celle d'une revoke mal contenue et qui explosait a des cycles reguliers avec une fureur insolite" (idem, p. 136). Kinkela divisa cette histoire en cinq etapes dont la cinquieme entamee en 1990 n'est pas pres de s'achever. La colonisation sans moyens de la Belgique a reussi a imposer une administration tenant lieu de l'Etat avec 1 'aide de la bibliotheque ethnographique coloniale et de 1' armee qui matait les differentes revokes et resistances a l'ordre colonial. Elle debuta par la tribalisation des populations ethniques en leur attribuant une identite ethnique forgee qui etait lameilleure inscription du sujet dans la colonisation. L'equation "pas de tribu, pas d'identite" impliquait que la personne ainsi tribalisee devenait comptable pour l'emploi. Aucune des deux colonies que furent L'Etat independant du Congo (1885-1908) et le Congo beige (1908-1960) n'avait le referent administratif weberien occidental ni le modele de colonie au sens habituel. C'etait "un produit aberrant d'une colonisation sans colonie, un systeme de gestion sociale exogene, ne gerant rien sinon que des interets d'extraction" (Darbon 1991: 176). J.C. Willame le decrit ainsi "Cet Etat colonial n'est pas ou est peu "rationnel", il n'est pas non plus legal. Les decoupages territoriaux (arbitraires), la confirmation et/ou la nomination de (pseudo) chefs, la scolarisation, la monetarisation, le recrutement militaire et les corvees sont l'expression d'une "administratification" progressive de la colonie, pas celle d'un consentement politique de la collectivite assujettie" (Willame 1992:213-214). Le regime postcolonial qui a reussi a evincer Lumumba et les nationalistes du pouvoir des 1960 en invoquant pour raison, les guerres civiles que le premier gouvernement ne pouvait maitriser, y compris l'invasion beige et les secessions, cachait lamise en place d' une double strategic internationale menee par la Belgique et les Etats-Unis. La Belgique voulait reconquerir sa colonie qu'elle avait hadvement lachee mais que convoitait deja le monde libre; les Etats- Unis s'employaient a deployer et a implanter la politique africaine reposant sur Mobutu tout en faisant main basse sur un territoire riche et strategique pour le controlede 1'Afrique noirequ'ils avaient laisseeechapper alaconference de Berlin de 1885; et que la guerre froide venaitde leur redonner l'occasion de corriger "cette betise". Cette strategic culmina dans la mise en place d'une classe dirigeante tres consciente de sa situation precaire pour Her ses interets a ceux des Etats - Unis et des grandes societes occidentals - comme l'avait pr6dit J.P. Sartre en 1961. Malgre la fin de la guerre froide et la chute du bloc communiste, cette logique d'interet ne vascillera qu'en 1992 avec l'arrive'e au pouvoir de Clinton pour reprendre un elan timide avec L.D. Kabila, a travers le duo Museveni - Kagame. De son cote, la Belgique, desabusee et fortement ridiculisee par cette politique neocoloniale et ses retournements inattendus, ses institutions et ses contradictions, - la "mobutucratie", se retira definitivement du jeu en 1990 cedant sa place a la France. Celle-ci, tout en se frottant les mains, renforc,a sa croisade d'implantation Societe Parallele, "Mobutucratie" et Nationalisme Post-colonial en RDC 67 neocoloniale et d'elargissement de son pre carre' africain qu'elle a instauree, des 1973, grace a sa politique de transfert de technologie en communication et d'assistance militaire au regime de Mobutu. Entre-temps, l'Etat postcolonial cre'a un systeme politique ou l'arbitaire et les incertitudes devenaient laregle de la vie quotidienne, developpa une marginalisation politique que soutenait la violence dtatique croissante. En retour, cette violence exigeait pour son fonctionnement, un service de se'curite bien entratne, bien organise etefficaceautantqu'une arm 6e docile, re'gulierementsoumiseal'epuration et aux pratiques divisionnistes. Ces deux corps sur lesquels reposait le regime engloutissaient des sommes d'argent enormes (en monnaie locale ou etrangere) au fur et a mesure que ce systeme politique - la mobutucratie - se construisait a travers le monopartisme (1967), l'Authenticite (1971), le parti-Etat (1974), culte de la personnalite (1980), la consultation populaire (1990) et la transition d£mocratique (1992-1997). Ce regime reposait exclusivement sur le pillage syste'matique des ressources par la classe dirigeante (Verhaegen 1978: 347-379) et la lutte contre la troisieme re"publique. La recusation du systeme politique qui debuta tot en 1963 avec la lutte arme'e de Pierre Mulele et le mouvement de la seconde independance reprit en 1982 avec la creation de l'Union pour la democratic et le progres social, UDPS, et la volonte populaire d'un retour au multipartisme et au federalisme qui fondaient la premiere republique. En verite, c'est la therapeutique a la crise economique qu'imposerent le duo Banque mondiale et FMI et d'autres bailleurs de fonds qui viendra, des 1977, donner contradictoirement le coup de pouce a ce mouvement nationaliste populaire et un coup de buttoir au regime de Mobutu dont les limites etaient previsibles. La conditionnalite' de democratiser le regime qui etait posee comme la garantie d'une bonne gouvemance et de lareprise economique supportee par un apport d'investissement, ouvrit simultanement un espace de contestation dans le champ politique a l'opposition nationale qui etait jusqu'a cette date muette, ecrasee sans pitie et forcee a l'exil. L'experience de cette courte democratisation (1977-1980) allait etre payante politiquement. Les elections libres au parlement et au bureau politique du Mouvement populaire de la revolution, MPR, parti-Etat, permirent a l'opposition de s'organiser autour d'un noyau parlementaire nationaliste et critique acerbe. Les interpellations parlementaires du gouvernement, mirent a nu la dictature mobutiste, la faillite de l'Etat et Pinstitutionnalisation de Mobutu qui en 6tait devenu l'"homme organe", selon la phrase'ologie du parti. Des 1987, l'opposition, quoique reconnue du bout des levres sur le plan international et soutenue par les associations internationales de la defense et protection des droits de l'homme, allait se durcir au plan national meme si elle a fini dans une piteuse disorganisation face au dictateur en 1997. Neanmoi ns, sur ce parcours, elle tint bon, et arracha la conference nationale souveraine en 1991 qui, prolongeant la consultation populaire (Gbabendu&Gobassou 199!)deboucha sur la transition en 1992. 68 T.K. Biaya Durant la periode postcoloniale, la violence structurelle de l'Etat croissait de maniere proportionnelle inverse a sa base economique deja precaire et faible. J. Depelchin (1992) indique que deja en 1930 les in vestissements avaient tari pour ce colosse. La reprise economique des annees 1967-1973, apres les guerres civiles et rebellions (1960-1967) (Kankwenda 1993: 243-263), avait permis au pays de s'adonner a une modernisation de facade a travers le projet dit "Objectif 80": a cette dcheance le Congo serait devenu un pays developpe! Ce programme economique tourna en un imperialisme technologique, au pillage systematique des ressources nationales et au detournement de l'aide exterieure dont le solde est un endettement de pres de 14 millards de dollars autant qu'il "enfanta" les deux cents families riches congolaises. Des 1977, tous les efforts que deployait desormais ce regime sous couvert du Programme d'ajustement structrurel, PAS, viserent davantage a maintenir au pouvoir Mobutu et sa classe moins qu'ils n'etaient destines a une gestion de 1'economie nationale desastreuse et en detresse. Le FMI s'en mordit les doigts et la communaute des bailleurs en fit les frais. La seconde republique (1965- 1992) se resume dans l'absence d'Etat au Congo de Mobutu. Mieux le philosophe Elungu P.E. n'a-t-il pas qualifie ce regime autocratique comme etant celui qui a consacre sa faillite sur trois ordres et indices flagrants de desordre: I'ordre de la subversion qui fonde la societe sur la volonte de l'arbitraire d'un indi vidu suppose absolu parce qu'arme, I'ordre de la corruption qui institue a la place de la loi du travail et a la loi du social la loi pri vee et I'ordre de perversion parce qu'il se rebelle contre tout ce qui se rapporte a la valeur" (cite par Kinkela 1993: 139). La Societe Parallele, ses Sites et ses Strategies Au-delad'un quotidien en trompe 1'oeil qui se deploie dans la litteraturescientifique sur leCongoetd'unecarenced'analyseglobale.lasociete parallele s'est reellement mise en place a partir du site ou des sites ou l'Etat a toujours refuse de se donner une existence reelle et effective. C'est dans cette interface, entre le Congo reel et la realite nationale que vi vent les Congolais, ou s'est logee et s'est erigee la societe parallele qui a pris 1'ille'galite comme sa base strategique et la culture politique ethnique comme site pour produire le pouvoir ethnique, ses institutions et son ideologic Ce pouvoir ethnique, ainsi que je I'ai defini ailleurs, est un systeme de pouvoir fonde sur l'ethnie, qui est une realite historique, et sa culture politique. "II nourrit un projet de societe el dispose d'une organisation sociopolitique, parfois minimale, qui gerc son espace de pouvoir et lcquel espace il negocic avec l'Etat central hegemonique" (Biaya 1998a: 110). Le pouvoir ethnique a permis I'emergence de la societe parallele, faite de multiples micro-societes paralleles mais articulees entre elles par des rapports economiques, politiques, linguistiques et culturelles. Grace au pouvoir ethnique, la societe parallele s'est organisee autour d'un ensemble d'institutions et de personnalites ethniques contemporaines tout en se dotant d'acti vites dconomiques Societe Parallele, "Mobutucratie " et Nationalisme Post-colonial en RDC 69 qui ont rendu son espace viable pour sa population. Elle n6gocie son existence aupres du regime avec qui elle partage les benefices resultant de ces entreprises economiques. D'autre part, le regime de Mobutu qui reposait sur un formalisme juridique etatique vide de contenu et de programme economique national, fut si bien fute qu'il exploitat cette opportunite allant jusqu'a cannibaliser aussi l'aide exterieure, mais sans qu'il n'attaquSt de front les institutions financieres internationales. Cette pratique ou predation fut rendue possible par la marge de manoeuvre qu'ellesluilaissaient(BiayaetOmasombo 1993:97-127) d'autant plus que Mobutu avait reussi a leur imposer un technocrate corrompu et rompu au jeu deladuplicite: L. Kengo waDondo, le premier ministrede larigueureconomique. Ces memes institutions financieres et les gouvernements etrangers ignoraient le chaud et le froid que ce haut fonctionnaire soufflait pour maintenir sa classe au pouvoir jusqu'en 1997. II appliqua un neo-liberalisme a deux vitesses de l'Etat redistributeur. En 1992, les reformes du FMI et de la Banque mondiales fin irent par s'averer vaines et prouverent leur vacuite face au Congo [qui] "est un ventre mou engloutissant tout investissement". car ellesavaient neglige ravertissementd'Erwin Blumenthal (1982). Lorsque la mort de Mobutu fut evidente, ce technocrate s'enfuit en Occident laissant derriere lui un pays "objectivcment" dans une grande misere et economiquement exsangue. Ce tableau analytique permet de reprendre la discussion de J. MacGaffey (1990: 345-349, 370-371) sur le concept d' "economie parallele". Ce qualificatif, une fois formalise, trouve sa pertinence et sa justification lorsque nous substitutions le mot qualifie economie parcelui de societe en parlantdu Congo-Kinshasa. En effet, le pouvoir ethnique ou l'etat local va s'emparer et controler des secteurs economiques entiers se ddveloppant dans "la dereliction etatique zairoise" et il beneficierade l'aboulie politique des intellectuels qui soit cachaient leur angoisse et impuissance face a la violence etatique soit attendaient et/ou cherchaient d'integrer le cercle du pouvoir et d'enrichissement puisque, jusqu'en 1997, la societe civile zairoise etait limitee aux deux cents families riches; et apres cette date, ce fut le tour a la bande a l'AFDL sous la conduite de Kabila. Rapidement, reprenons les differentes zones economiques du Congo pour comprendre ce phenomene de la formation de la societe parallele et scs relations horizontales et verticales. Une repartition d'activites par secteur geographique ct par nature des ressources exploitables et disponibles, indique que les zones frontalieres ou peripheriques (composees des provinces Orientate, Katanga, Sud- Kivu, Nord-Kivu, Bas-Congo et Equateur) et la zone centrale (composee des provinces du Kasai Oriental et Kasai occidental) vont consolider leur economie locale apres 1985 et conquerir une large autonomie vis-a-vis de l'Etat central. Elles integreront les elites ethniqucs en leur sein des 1988 avec les comites dissociations ethniques urbaines et paysannes remontant jusqu'au village. Elles prendront aussi cause pour 1'opposition au regime en place avec Vevenement majeur de la periode 70 T.K. Biaya 1980-90 qu'est la naissance de l'UDPS, un parti populaire mais legalement clandestin et greffe sur la societe parallele. En effet, le congres extraordinaire du parti-Etat de 1988 qui avait pour but de redeployer l'Etat postcolonial, est venu plutot consacrer le triomphe de la societe parallele contre l'Etat mobutien qui tenta vainement de reformer l'administration, le parti-Etat et de proposer la decentralisation comme solution a la crise politique qui s'etait ajoutee a celle economique ouvcrte. Les membres du congres venus de l'"Interieur" rejeterent tout projet d'une nouvelle division administrative. Celle-ci leur apparaissait comme une nouvelle "tribalisation" du pays, qui saperait la base de la societe parallele en place. Cet echec de l'ultime tentative de briser la societe parallele, par le pouvoir central, prouva l'enracinement du pouvoir ethnique et la solidite de sa base culturelle ayant integre son historicite, a l'exception du Kivu, dont l'identite regionaliste n'avait pas encore acquis une forme stable suite aux conflits fonciers et politiques entre les ethnies autochtones et les Rwandais, Tutsi nouvellement immigres (suite a la loi leur octroyant la nationality collective) et ceux refugies, dont la nationality douteuse rendait les alliances moins faciles a monter et fragilisait cette province face a Kinshasa et au gouvernement national. Par contre, durant la meme periode, la floraison de rinformel que connatt le Congo n'est que le sommet de l'iceberg social et economique local que la colonisation amis en place selon une double procedure de la normalisation urbaine. D'abord, seuls les Ouest-africains etaient autorises a detenir un petit commerce alors que le Congolais gagnait cette autorisation en recompense pour delation de l'ethnie. Ce systeme de corruption et clienteliste que le regime mobutiste et son clientelisme ont fini par consolider et imposer aux populations ne se departissait pas des axes et manipulations ethniques. Cette pratique lorsqu'elle etait recupeYee et integree par les populations, apres l'avoir elaguee de son ideologie mobutienne, nourrissait par quelques cotes l'ethnicite de la societe parallele. Differente du tribalisme politique et administratif de la classe dirigeante, elle est avant tout une historicite et une interpetation de la part des populations de leur propre histoire locale et nationale. Et c'est a partir de cette base reflexive, - parfois erronee - que ces memes populations vont organiser et soutenir, grace a 1' ideologie ethnique ou regionaliste, leurs pratiques economiques. Ainsi aux cotes du petit commerce tel lolema (Kisangani), des petites plantations domestiques (produits maraichers, legumes), du commerce village-ville des fruits des cultures, du troc entre villageois et des petits metiers artisanaux se developpant, se positionnent de plus en plus un commerce inter-regional et celui international debordant les trontieres du pays et se branchant sur des reseaux internationaux, que controlent des bourgeoisies ethniques (Biaya 1985: 65-84, MacGaffey 1987). Ce commerce illegal d'importexport imposa le besoin et la necessite, pour son developpement, de se garantir un protecteur ethnique assez fort qui puisse negocier son "existence" avec la classe dirigeante etbourgeoise soil par association d'affaires soit par regime deprebendes. Societe Parallele, "Mobutucratie" et Nationalisme Post-colonial en RDC 71 Les personnalites religieuses et elites politiques ethniques effectuerent cette "besogne" sur la base de l'ethnicite qu'elles ouvrirent sur le regionalisme la ou cette necessite s'imposa. Ainsi a-t-on vu la loi interdisant les organisations ethniques se resorber; la privatisation des exploitations miniere naguere interdites s'assouplir ou reprendre du souffle ... Et en retour, certains lieux de revoke populaire ethnique se sont calmes. Cette logique du neoliberalisme si elle favorisa le resserrement des regroupements ethniques dans l'exploitation artisanale de concessions minieres (or, diamant) et 1'exportation des produits agricoles (the, cafe1, quinquina, etc.), elle propulsa aussi, selon la meme logique, 1'exportation des produits miniers des entreprises cannibalisees (pieces de rechange, cobalt, etain, cuivre, etc); puis ellestimula 1'emergencedes solidarites interethniques reflechies en vue du developpement de la province que controlent les intellectuels ethniques ayant reussi a se positionner aux commandes d'entreprises publiques dans leur province natale autant qu'ils appartiennent a laclasse dirigeante ou sa bourgeoisie. Des associations diverses et ONG locales bourgeonnerent et se donnerent des ambitions de reprendre en main ce que I'Etat a abandon ne ou qu'il n'a pu controler comme des universites locales, des conseils de developpement regional, les maisons de santd et cliniques, etc. Sans veritablement tomber dans la fascination beate qui consiste a croire que l'informel est une reussite economique alors qu'il est incapable d'accumuler, force est de reconnattre que cette grande bourgeoisie ethnique naissante en certaines zones a su accumuler et capitaliser ses avoirs. Des lors, la societe legale - ou I'Etat central - s'amenuisant et la societe parallele en croissance devinrent complementaires dans leurs fonctions economiques et politiques au sommet, ou la classe dirigeante et la bourgeoisie ethnique se partageaient le gateau. Cette "convivialite" suffit pour octroyer a la societe parallele son autonomie. En 1995, cette derniere finit par gerer des zones monetaires ou le dollar americain est mattre; et secondairement, les trois monnaies frappees par le pouvoir central, entre 1990-1993, continuent a circuler dans l'une et pas dans l'autre zones ethniques et commerciales selon une double logique complementaire, d'une part celle de lutter contre les effets de l'inflation galopante qui a atteint les 10000% en 1995; et de l'autre, celle de soutenir l'action puis les revendications democratiques de l'opposition politique. Cette position repondait au mot d'ordre de l'UDPS: refus d'utiliser la monnaie de singe et ensorcelee de Mobutu". La meme annee, le budget annuel de I'Etat ne put atteindre les 230 millions de dollars qui ne representent moins que le quart du chiffre d'affaires de I'unique ville de Mbujimayi atteignant le milliard (Biaya 1998b). Toutefois une specialisation dans l'economie et le commerce illegaux - ou de la societe parallele - s'est imposee d'apres les matieres produites et leur reseau d'ecoulement international. L'argent ainsi gagne sen a l'importation des biens. Toute une economie du manque que gerent des r£seaux ethniques locaux s'est mise 72 T.K. Biaya en place avec des villes-phares comme Mbujimayi, Kinshasa, Butembo, Lubumbashi, Bunia, etc. qui sont devenues des plateformes et lieux de pouvoir de la societe parallele ainsi dotee de son economie locale et d'une societe civile, qui la defend face a l'Etat deliquescent et reduit a I'unique role administratif. A ces liens economiques internationaux se sont ajoutes ceux interegionaux permettant une circulation plus accrue des marchandises importees, helas dans des conditions de transport parfois desatreuses puisque les voies de communication ont quasiment disparu ou sont reduites au rang des pistes de brousse. Enfin, faut-il signaler que ces "economies" de la societe parallele ne se sont pas creees sans effusion de sang ou qu'elles fonctionnent sans payer un tribut aux douaniers, policiers et autres fonctionnaires pour sa propre reproduction et la protection de ses "seigneurs". Contrairement a ce qu'affirmait un sociologue de developpement - O.A.L. Longandjo - si la puissance de FEtat ne s'evalue pas a son echec a se maintenir comme "res publicae" et a gerer la faim, les maladies et la violence; il reste que sa inarginalisation Test a I'aune du dynamisme de la societe parallele que nourrissent son ethnicite et sa culture politique endogene affinnant a la fois Funanimile populaire a son existence et lui donnant une legitimitc populaire face a un Etatbandit et "delegitime". Symptomatique est ce fait qui merite d'etre signale. Lorsque l'Alliance des forces democratiques et de liberation, AFDL s'empara de Kisangani en 1997, Kabila, lui-meme ancien trafiquant d'or par profession, suspendit ce "trafic" d'or et du cafe; mais peu apres, la societe parallele qui I'avait accueillie en "tombeur de Mobutu", le for^a a moderer le langage bureaucratique et technocratique de reformateur d'un Etat mort; elle lui reprocha de vouloir provoquer la famine la ou elle n'existait pas. Lc "liberateur", qui voulut instaurcr des valeurs nouvelles, remit a plus tard la lutte contre les anti-valeurs mobutistes. Bongrema! gre, il autorisa la reprise dece commerce illegal qu'il avaitsuspendu. Identites Multipolaires, Antagonismes et Interets La question de Fidentite politique ou des identitcs multiples est au centre de la societe parallele; elle en fa^onne les individus et les communautes en articulant la base economique - au sens du social - et la contestation politique. Comme dit plus haut, toute identite est une construction; et comme toute construction, elle est sujette a 1 'evolution et a la mort. Suite a leur histoire particuliere, les Congolais ont de veloppe une identite multipolaire et plurielle a partir des politiques coloniales et postcoloniales. En outre, il est tres interessant de constater que lorque Mobutu prit le pouvoir, il proceda a un centralisme jaloux temoignant faussement de son adhesion au nationalisme lumumbiste et de la volonte du regime de detribaliser le pays. Cette politique qui reprenait cclle coloniale d'interdiction d'associations tribales ne reussira point aempecher que l'exclusion politique etlamarginsalisation economique dues a la gestion predatrice ne r^veillent non seulement des identites ethniques coloniales dormantes mais elles mirent aussi en place de nouvelles Societe Parallele, "Mobutucratie" et Nationalisme Post-colonial en RDC 73 identites soit regionales soit ethniques de revendication qui n'cntreront nullement en contradiction avec celle nationale et la nationality congolaise. La participation massive des Congolais, toutes classes sociales confondues, aux diverses associations indique que les premieres lignes identitaires se sont elaborees autour des grands ensembles ethniques (ou tribaux) et des partis politiques de l'independance (1960-1965). Ces representations s'enrichiront de l'experiecne de la margisanalisation politique et economique de la deuxieme republique autant qu'elles s'exprimeront dans les competitions economiques et commerciales se deroulant surtout sur l'espace urbain. Trois exemples de construction identitaires dans la societe parallele illustrent la pluralite de voies de production des identites postcoloniales. L'identite luba-Kasaipostcoloniales'esteffectuee, des 1959, en rejetantl'identite coloniale urbaine fabriquee et, a la place, ce groupe urbanise depuis 1921-1945 (Jewsiewicki 1987) restructura le mythe colonial du Luba intelligent, industrieux et inieux adapte a la Civilisation que les autres ethnies du Congo en l'elaguant du "mensongc du Blanc" pour s'accaparer de celle du Juif biblique ct moderne qu'il articula sur sa propre histoire precoloniale. Ce groupe urbanise, revenant d'un exode national force par les guerres civiles de l'independance (1959-1960), va eriger la ville de Mbujimayi et sa province se separant de l'ancienne province du Kasai et sa capitale Luluabourg, aujourd'hui Kananga. Reinterpretant sa propre histoire, des origines a la decolonisation, il choisit pour nouveau point de depart historique sa rupture avec I'empire Luba au debut du XIXe siccle et son inscription dans la modernite a partir du commerce de longue distance; il modernisa sa structure politique dcmocratique precoloniale. II prit ou rcvendiqua a cet effet 1'identite de Nkongu. le rassembleur. Cette idenlite nouvellc combinait le fruit de son experience politique coloniale urbaine (l'echce aux elections pour la direction de la province du Kasai colonial), sa volonte d'emancipation coloniale et son histoire politique que le Luba reussit a materialiser dans l'Etat autonome et minier du Sud-Kasai, qui evoluera rapidement en la province du Kasai oriental et sa structure economique, dominee par sa propre bourgeoisie aussi nouvelle (Biaya 1985: 70-72). Cette identite de rupture avec celle coloniale suite a "la trahison du blanc'eta I'echec politique des Luba de s'emparerdupouvoir provincial au Kasai colonial, evoluera rapidement dans unc direction differente de celle des membres du meme groupe ethnique qui n'ayant pas adhere au projet d'exode ct a son ideologic ethnique dc quete d'une autonomic dans et vis-a-vis dc l'Etat hegemonique. sont restes dans les villcscoloniales et licux dc leur persecution ethnique, y coinpns Kinshasa. La bourgeoisie diamantaire mbujimayiennc reusit as'imposerdans une societe (>arallele dotee d'une ideologic ethnique et a negocier sa survie avec l'Etat hegemonique. En 1992, soit 30 ans aprcs l'independance ct les guerres civiles, l'identite coloniale katangaise resurgit et s'organisant sur la base du regionalisme, elle se fit 74 T.K. Biaya cthnocide avec l'aide de l'Etat central et son ethnicite par le haut ou le tribalisme politique. Ce mouvement d'expulsion double de massacre concerna pres de 400 000 personnes. Cette pratique ethnocide fut dirigee contre les Luba-Kasai, d6signes alors Kasayiens. Ceux-ci avaient decide de rester au Katanga en 1960. Mais ce mouvement ethnocide forca ces derniers a retourner au Kasai originel alors que ces immigre's nationaux et groupe alloethnique qui avaient construit le chemin de fer et bati la richesse industrielle du Katanga minier, avaient abandonne cette province trois generations plus tot. Au fond de cette ethnicite belliciste, qui est encore tres vive dans la region des grands lacs et fortement ancree en certaines parties du pays, git l'identite "tribaliste" du colonise forged par le colonisateur et entretenue par lepouvoirpostcolonial. Cette identiteregionaliste,de venue cyclique, lorsque nous renouons cet episode a l'experience politique coloniale de cette province (Kalele 1993: 17-42), repose sur un conflit d'acces aux ressources et a leurs disponibilites. Bien que ce conflit fut theorise en terme d'ideologie de redressement des torts du passe colonial et postcolonial et que le Katangais efit identifie son spoliateur, le Kasayien (Kalumba et Ngoy 1995: 141), ce conflit ethnique a fonctionne au double niveau d'une rivalite d'acces a la direction et a l'emploi dans les entreprises d'Etat, y compris le bloc GECAMINES, mettant aux prises les ingenieurs Luba-Kasai et superviseurs a leurs collegues sublaternes, originaires des ethnies katangaises et du reste du pays qui etaient nouvellement engages dans les entreprises. Par ailleurs, la cannibalisation de ces memes usines et entreprises, soumises deja au ponclionnement etatique pour les besoins des services de securite et qui etaient en deperissement faute d'entretien depuis 1977, cachait une competition leonienne sur le plan du controle et d'acces des memes Katangais a l'exportation frauduleuse des produits semi-finis que le holding produisait dont la bourgeoisie d'Etat detenait le monopole. Des ce temps, le cuivre, l'etain, l'or, le cobalt, etc. constituent des produits d'un commerce florissant entre le duo bourgeoisied'Etatetcelle locale, recenteetd'essencepolitico-intellectuelle, et l'Afrique du sud. Le genocide katangais contre les Luba-Kasai, declenche' en periode de transition 1992-1994, a aussi servi de diversion nationale ay ant camoufle la mise en place de la societe parallele katangaise emergeante qui a reussi - pour combien de temps - a s'imposer grace a l'impunite que le regime de L. Kabila, a la suite de celui de Mobutu, lui accorda comme prime, celui-ci pour briser l'opposition nationale etcelui-lapour sal uerlesuccesduregionalismeeconomique qui se cache toujours sous la menace de 1'impossible separatisme katangais. La troisieme voie repose aussi sur l'identite ethnique belliciste. Celle-ci puisqu'elle manque de base historique consensuelle et reflechie correctement, se fragmente lorsque l'ennemi regional disparatt. Elle s'attaque souvent au proche, l'allie d'hier lorsque les ressources viennent a disparaitre. L'exemple de la province r.! ntale et le conflit pour le controle de son chef lieu Kisangani l'illustrent .nieux. Entre 1980-1993, dans cette ville, la competition pour la Societe Parallele, "Mobutucratie" et Nationalisme Post-colonial en RDC 75 direction urbaine (chambre de commerce, mairie, commune, etc.) qui est une source certaine d'enrichissement et de eontrole de 1'economie urbaine ct rurale environnante, a 6t6 rapidement sous-rdgionalisee. Le conseil urbain rejeta toute condidature de personnes ne"es hors du disctiict de la Tshopo et encore nioins celle des personnes appartenant aux ethnies situee hors de ce perimetre aussittot que les Bakuyakya - les etrangers ou les Congolais non originaires de la province - soient contraints de se retirer du jeu politique urbain. Le recrutement du personnel subalterne reposa aussi sur cette Iogique regionaliste a la SOTEXKI, societe textile ou la mainmise de PEtat n'etait pas absente. Cette pratique reapparut, en 1991- 1992, lorsque le gouvernement demenda que les gouverneurs de province dressent la liste des delegues des fonctionnaires et de la societe civile pour la Conference nationale. Ces trois identites ethnique, regionaliste et sous-regionalistes n'ont pas cre"e des societes isolees. Au contraire, une fois l'emotion passee, dies renouent des relations economiques et commerciales fructueuses au sein de la societe parallele nationale. A la conference nationale, elles se sont regroupees en des alliances diverses, parfois contre-nature au regard de leur passe historique, mais elles ont respecte les voies de leur production autant que la defense des interets regionaux dans leur quete du fede'ralisme qui permettrait a leur "'etal local" de negocier sa participation ou son integration dans le territoire et les institutions reamenages de la troisieme republique. Ces negociations ont indique combien la societe parallele incarnait, par quelques cotes, le nationalisme militant. Par ailleurs, la politique integrationiste de l'Etat (W. MacGaffey 1982: 49-70) et celle de 1'Authenticite couvrant I a periode 1968-1975, constituent un autre le vier de l'identite politique congolaisc. Meme si ces deux ideologies ont vire en un exhibitionnisme, leurs politiques ont toutefois reussi a doter les Congolais d'une identite nationale qui est politique et celle-ci, englobante, n'entre pas en contradiction avec celles ethnique, urbaine ou paysanne, professionnelles, etc. que la sociele parallele a mises en place et qu'elle sollicite pour sa propre reproduction. Ainsi at- on vu les intellectuels Luba, nationalistes des premieres heures, defendre la secession sud-kasa'ienne et la retourner en autonomie provinciale en 1960-1962 bien qu'ils etaient refoules de cette province par les moins lettres qui s'etaient accapares de l'Etat pseudo-secessionniste du Sud-Kasai (Biaya 1998a a venir). Lors de la clandestinite de 1'UDPS, Mobutu cvoquant le tribalisme d'Etat ou I'ethnicite par le haut, taxa ce parti clandestin d'etre "une affaire des Luba" contre I'Etat national. Mais, quoique ses artisans fussent en majorite des Luba, ils furent percus plut6t comme des "bons ct vrais zai'rois", c'est-a-dire des nationalistes et des Luba a la fois par leurs compatriotes d'autres groupes ethniqucs qui portent aussi cette identite plurielle. Cetle verite se verifiera a nouveau lors de la '-guerre" qui eclatera entre le gouvernement impopulaire de Kengo en fin d'annee 1996 ou celui de Kabila en aout 1998 face aux mcines rebclles lorsque ce gouvernmcnt 76 T.K. Biaya national les presentera comme des "envahisseurs" tutsi, rwandais ou/et ugandais. Ce discours populiste d'un gouvernment battant de I'aile est difficilement accepte par tout son peuple, mais il suffit pour rallumer le processus identiaire unitaire et nationaliste du Congolais contre tout envahisseur. L'autre versant de ce processus identitaire nous est revele quand il est question de la culture du loisir dite "ambiance", que fondelatrilogie "bar, femme libreetmusique" (Biaya 1996: 345-370). La representation identitaire populaire s'accorde a declarer que le Ngbandi, membre de la tribu de Mobutu, est immoral et pervers; le peureux, obsequieux et sournois Kongo est a 1' image de J. Kasa Vubu, le premier president de la republique qui trahit Lumumba mais il est surtout un bon musicien-danseur; 1' union matrimoniale entre un Luba intelligent et une femme Mongo de la province de 1'Equateur, qui est "voleuse" et infidele, donnera un enfant a l'identite Kongo, etc. L'aspect multipolaire de l'identite inclut aussi le nationalisme. Nous n'en voudrons pour preuve que cet exemple vecu lors de la democratisation. En avril 1991. alors que les combats entre la societe parallele mbujimay ienne et l'armee se deroulaient depuis six jours a propos d'une intervention punitive de l'armee contre la tenancieredu bar ou une reunion dc l'UDPS s'est tenue, tous lesbelligcrantsont observe une treve tacite le dimanche. 11s s'en allerent au culte dominical le matin et regarderent l'aprcs-midi le match de football de la coupe d'Afrique des Clubs opposant le Congo au Gabon; ce match a ete diffuse par la television nationale. Au soir, les combats reprirent. L'identite nationale est plus qu'une simple affaire de "passeport" pour voyager. Plus qu'une symbolisation de l'Etat-nation, ce processus identitaire va de pair avec une certaine fierte nationale que la seconde republique et la societe parallele ont su insufflcr aux Congolais. II contient aussi les germesde la contestation politique. Le regime de Kabila echoue a s'implantcr peut-etre puisqu'il ne parvient pas a inscrire dans cettc histoire nationale et son identile politique, sa propre action politique et "son" nationalisme. La cause ne serait-elle point que sa politique regionaliste est perdue avant tout comme antinationaliste a cause de son infeodation et sa passivite face a une politique ^'occupation du territoirc national par les militaires et officiels du Rwanda et de l'Uganda siegcanl aussi dans le gouvernement et dans les appareils d'Etat et l'armee? La question de l'identite plurielle du Congolais ne nie point I'ethnicite. Au contraire, elle nous indique la pregnance de cette dimension et sa capacite a generer une rationalite en actc qui a ete souvent perdue ou analysee unilatcralement en terme de violence ethnique. L'ethnicite qui est une dimension de l'identite politique ne devrait point etre limitee au mode de discours et a Faction politique dont la mobilisation deboucherait dans 1' horreur (Lemarchand 1994). Au contraire, e'est en desengageant I'ethnicitc des comportcments ct visees d'horreur que reellcment l'identite politique prend sa forme sublime et " sublimatoire" des violences politiques. economiques et ethniqucs. Les consequences des politiques Societe Parallele, "Mobutucratie " et Nationalisme Post-colonial en RDC 11 d'ajustement structure] relevent aussi des violences 6tatiques et des terreurs des institutions financieres qui sont aussi meurtrieres que celles ethnocides d'etat. Toutefois nous n'osons adherer totalement a raffirmationselonlaquellel'ethnicite se dilue dans l'ambiguite sous l'impulsion de l'urbanisation (Willame 1992: 212). Cette affirmation autant elle minimise et indique, a contrario, la complexity du meme phenomene identitaire sans l'epuiser; elle n'en asaisi que l'aspect superficiel. L'ethnicite' est une partie de l'identite individuelle et collective; elle fonctionne en son sein avant de se projeter au dehors, dans la societe. Par contre, la multipolarite et la flexibilite de l'identite qui, lorsqu'elles sont mal percues et non vecues d'en dedans par l'analyste, tendent a faire valoir ceite hypothese. Pourtant ces deux aspects constituent le fer de lance de ses differentes transformations. L' identite est et fonctionne comme un ensemble des pratiques et codes dotes de plusieurs facettes (ide'ologiques) interagissant ou entrant en structures dialogiques et avec la realite et avec clle-meme. Elle porte avant tout la marque de l'autre participant a son elaboration. Ainsi done, comme affirme plus haut, la direction et le controle de l'urbanisation ont echappe aux elites dirigeantes; les populations et leurs recompositions sociales nouvelles s'urbanisent de droit et villagisent les villes installant une urbanite totalement indocile qui a foule aux pieds celle qu'avaient imposee le pouvoir etatique et sa cartographie coloniale reposant sur une des dimensions obsoletes : race, classe, sexe et ethnie en Afrique. Analysee sous cet angle, l'ethnicitc prend un autre visage. L'identite ethnique est tres forte et mieux ressentie dans les milieux urbains ou la competition est tres grande aux divers niveauxd'activitespolitiquesetproductiveslucrativesnepouvant engager qu'une minorite, ou la polyglottie, le multilinguisme et les contacts et emprunts culturels intcrethniques multiples ont ete eriges en capital et ressources pour reussir a se frayer une place et une visibilite dans la societe urbaine. Ces contraintes,qu'erigent ces memes lacteurs, une fois retournees en ressources sont plus fortes et plus evidentes en ville qu'en milieu rural plus ou moins homogene, ou l'ethnicite entre rarement en competition avec d'autres identites ethniques. D'ailleurs, le nom individaelconstituele premier marqueurdel'individualisationclaniqueet ethnique d'abord et etatique ensuite puisque l'ethnie est aussi inscrite sur la carte d' identile nationale et se trouve integree dans la connaissance ethnologique populaire nationale. Cette realite qu'est l'identite individuelle fonctionne alors sur le modele de la loibiographique-disaitR. Bastide -qui s'enrichitdenotre experience et nous accompagne a travers notre vie publique a partir des rituels (bapteme, dation du nom, scolarisation, etc.) qui ont scande notre vie privee des la petite enfance. Suite a l'experience postcoloniale, la cartographie ethnique urbaine coloniale a ete dedramatisee et retournee en un capital d'individualisation qui est aussi un potentiel de conflits contre l'"etranger" national. Ainsi il est aussi malaise que surprenant et agreable a la fois pour un nouvcau venu a la ville - mohuta - qui possede une adresse incorrectc de se voir demander sa tribu; aussitot qu'il l'aura V. Biaya ^*!l, il se voit allegrement envoyer consulter un membre de son groupe '^fc habitant le patelin. Cependant cette flexibilite de l'identite n'autorise pas %oit alteree, fractionnee, voire rejetee dans le cours de 1'existence et de \ : e du commerce politique, social et culturel. Au contraire, la preuve nous avec la chute du regime de Mobutu qui n'ouvrant pas rapidement sur %ise economique, autorise une fronde identitaire dans l'exercice de la *ltion du nouveau regime politique monopartiste, qui est accuse" de tribalisme: «est un mobutiste conservateur!" En plus politiquement, une identited'anti- '^iltique et anti-nationaliste taille'e sur mesure a fait son apparition en RDC. ^Vationalisme en Marche? Ascription analytique du drame congolais pour etrange qu'il soit avec ses ^\3rts et faibles, laisse entrevoir une volonte populaire trahissant cette pensee ' t : "faisons quelque chose a propos de cette situation", caracterisant toute 't>u action politique. "La politique est une invention creatrice", ecrit E. dia Wamba(1993: 96). Cependant une tension gitau sein de cette "lutte" I'histoire du Congo depuis un siecle. Le drame de Lumumba est plusieurs egard a celui du peuple congolais. Le courant nationaliste Is a connu plusieurs ruptures au sein des differentes periodes sans grand ILe mouvement messianique qui debute en 1915 avec la revoltee Maria 'Equateur, le catechiste Simon Kimbangu (1919-1921) et la prophetesse -*3»3O-1931) chez les Pende attendra Lumumba pour connattre une meilleure "/*'* politique et une meilleure connaissance de l'ennemi exterieur: le " isme beige. Mais Lumumba ne prendra jamais assez de soins pour 'Ster son gain: l'independance et la production d'une societe democratique ^*iitribale; il se rctrouva prisonnier de ses trois ennemis dont un ancien: „ dirigeant le groupe de Binza monte rapidement en 1960 avec des fonds A, la Belgique et les Etats-Unis dont la politique concertee anti-Lumumba tenue par le Secretaire General de l'ONU Dag Hammaskjold. En effet, des *Tiniere rencontre a New York, le franc parler de Lumumba suscita 1' antipathie "