Afr.j. polil. SL-i. (1998), Vol. 3 No. 2, 49-68 Triomphe et Crise de L'idee Democratique: Trahison des leaders ou echec des partis politiques? Kabuya Lumuna Sando* L'aube des annees 90 aura ete caracterisee par le triomphe de l'idee democratique. La plupart des pays africains, qui etaient regis par un systeme de Parti-Etat ou de monopartisme, ont ete secoues par les exigences du multipartisme et des droits de rhomme et du citoyen. Les Conferences Nationales au Benin, au Congo, au Zaire, ont, un moment, eclipse les luttes annees qui, cependant, au Liberia, au Rwanda, au Burundi, en Uganda ... rappelaient les convulsions ambigues d'une decennie tres paradoxale. Avec la crise de l'idee democratique, observee a la fin de la decennie, la question qui se pose est de savoir s 'ils 'agissait bien d'instauration de la democratic ou d'une sorte de reorganisation de lapensee totalitairel Le cas de 1'ex-Zaire, qui aura connu la transition la plus longue, est assez exemplatif de ces ambiguites et de ces paradoxes ou le nouvel ordre africain semble encore devoir s'inspirer des modeles "personnalises" ou l'image du Chef et la confiance qu'il inspire prennent le pas sur la doctrine politique et sur les programmes du gouvernement. L'Afrique se prepare-t-elle encore a des regimes sans partis politiques et domines par des "monarques eclaires"! Alain TOURAINE1 a bien explique la conception stimulante qu'il faut se faire de l'idee democratique, par opposition/complementarite a l'idee republicaine. En simplifiant cette conception, on pourrait dire: l'idee republicaine correspond a raffirmation de trois caracteristiques de l'Etat, a savoir qu'il y a organisation rationnelle, structuration a travers des institutions plus fortes que chaque citoyen, autonomie de cet Etat vis-a-vis de toute immanence de Dieu ou de Roi, et legitimation populaire ou le peuple, ou la nation, plus forte que lepitoyen, n'est pas un etre collectif mais l'expression d'une volont£ d'organisation rationnelle, incarnee par un avant-garde eclaire', ou suppose tel. 1027-0353 © 1998 African Association of Political Science 50 Kabuya Lumuna Sando On retrouve l'idee republicaine ainsi definie derriere la conception du pouvoir communiste, derriere la conception de toutes les dictatures connues en Afrique... oil tout citoyen est pratiquement fonctionnaire de l'Etat, et ou done la bureaucratie politique predomine en tout. II reste done, avec l'idee republicaine, la question-cle des formes de mediation entre la volonte du "peuple" et l'Etat, soit done le mode de delegation de la souverainele ou de legitimation des hommes appeles a diriger. En democratic, les partis politiques ont pour fonction d'exercer de cette mediation. L' idee democratique tend a effacer \eface a face inegal entre le Citoyen et l'Etat. Elle correspond, en simplifiant toujours, a l'eveil de la Societe Civile et du pluralisme social. A ce niveau, "les Droits de PHomme et du Citoyen" vont devoir completer et enrichir "l'autodetermi nation des peuples et la souverainet£ internationale des Etats". Mais il est clair que les "Droits de l'Homme" ne se definissent pas par rapport au systeme d'acquisition, de conservation ou de renforcement d'un pouvoir politique. L'idee democratique aura done tendance a en appeler a la Societe Civile percue dans la diversite de ses interets sociaux. Les partis politiques joueront ici le role de relais entre les demandes sociales et les programmes politiques de gouvernement entre l'Etat et la Societe Civile. Mais 1' idee democratique se fonde aussi sur une citoyennete, sur la volonte individuelle, de telle sorte que le Citoyen n'est pas fondu dans une nation, dans une experience collective superieure. II est evident qu'en Afrique, les questions suscitees par l'emergence des Etats republicans sont elles-memes intimement liees aux questions suscite'es par l'emergence et l'organisation des partis politiques. Et il nous parait interessant de reflechir sur le triomphe et la crise de l'idee democratique a partir de cette relation, definie en termes de "representation et de legitimation"'. Entre l'Etat et la Societe Civile, c'est encore le divorce profond en Afrique. Est-ce trahison permanente des leaders dans une culture politique dominee par la personnalisation, e'est-a-dire l'esthe'tique et la symbolique des chefs plus ou moins charismatiques? Ou bien s' agit-il de 1 'echec des partis pol itiques dans un systeme ou, la structure des classes sociales, les valeurs de reference ou les facteurs organisateurs de solidarites d'interet ou de culture etant a la fois inacheves et jugules, la definition du "represente" et du "representant" reste encore un enjeu majeur? Dans le triomphe des "ouvertures democratiques" et des espoirs de "liberation" on a consacre le principe d' une "opposition sans tache ni erreur" et done forc6ment innocente puisqu'elle combattait une dictature. Pourtant, il s'avereque, plutotque d'engendrer une culture democratique, les longues transitions n'ont ete que des cadres de reorganisation de la pensee totalitaire et de l'intolerance. Sans doute faut-il completer ici la methode d' approche et, plutot que d' interpeller et d'analyser les dictatures dechues et leurs blocages, interpeller a leur tour les "demandeurs de democratie" pour comprendre pourquoi et comment l'esprit du dialogue, et les Triomphe et Crise de L'idee Democratique 51 possibility's democratiques n'ont pas encore reussi a s'imposer. Le presuppose etant que tout le monde cherche cette democratic pour le developpement. Impossibilite Democratique et Pensee Totalitaire II y a d'abord une impossibilite democratique a relcver au plan des diverses doctrines ou "philosophies politiques" presentees eomme recours ou alternatives. La longue conquete des libertes s'est exprimee, face a la colonisation ou face aux dictatures republicaines, selon trois formes de discours et d'actior la forme culturelle (religions et schismes liberateurs, negritude et grandes associations ou mouvementsculturels), la/or«iepo//7/ sa diversite devenant une exigence de l'histoire, de la culture et des "droits de l'homme etdu citoyen"! Mais tout s'est passe corome si la consolidation de l'Etat-Nation ne pouvait tolerer 1'exercice des libertes individuelles. II y a eu, il y a sans doute encore une impossibilite democratique qui caracterise les pays africains naguere colonises. Les discours politiques de la specificite africaine, de l'authenticite etc. ... n'ont servi - bien souvent — qu'a occulter cette impossibilite democratique: la Nation ecrasant toujours le Citoyen, au niveau de la nation tribale, comrne au niveau de la nation "moderne". Une illustration tragique de cette situation est certainement la question de la nationalite dans les pays d' Afrique. Au Zaire, comme partout, il etait prevu des procedures de naturalisation ou d'acquisition de la nationalite. Mais la nationalite d'origine a ete definie par rapport a deux references: le droit du sol reconnu aux tribus existant sur le territoire avant l'arrivee du Colonisateur, et le droit du sang par filiation a des ascendants reconnus membres de l'une ou l'autre de ces tribus. Tandis que le Citoyen etait defini par rapport a l'appartenance tribale, aucune politique de developpement, aucune administration, aucune doctrine n'encourageait encore l'organisation de la vie en societe traditionnelle. Au contraire, dans le cas du Zaire, la politique a l'egard des villages et du milieu rural selimita a l'oubli eta une concentration sur la "ville". On a defini la nation zai'roise par rapport aquelque chose que I 'Etat et tous les politiciens laissaient consciemment se detruire, au nom de l'antitribalisme! Par ailleurs, l'e'tranger implante au pays 52 Kabuya Lumuna Sando etait tout naturellement "exclu" en permanence devant un cadre juridique qui ne voulait en rien s'adapteraux mouvements sociologiques. A cetegard, la "question tribale " reveille en permanence la difficulte a organiser et la nation et lacitoyennete. Des "doctrinespolitiques " ou Ton pretend se definir par rapport a ce qu'on d6truit (la tribu), et ou done les mouvements sociologiques internes et externes ont ete ignores dans l'ordre administratif (aucune politique de definition de la residence du Citoyen, aucune politique de gestion de 1'immigration) etdans l'ordre politique ou economique (aucune politique de developpement des villages), de telles doctrines done ne pouvaient qu'engendrer des questions aussi complexes que celles de la presence des Rwandais au Zaire. Ce n'est done pas un hasard si la crise de l'idee democratique au Zaire (RDC) est nee pre'eisement d'une question tribale! II me semble evident que l'absence de gestion officielle de l'ethnicite ou de la nationalite tribale, une rdalite historique aussi presente et essentielle dans tous les reseaux de solidarite, a laisse les populations membres de ces tribus dans des frustrations et des interrogations profondes. Tout va bien dans un tel sy steme de "pourrissement" de la tribu, tant que chaque tribu voit les memes faiblesses chez les autres: rares ont et6 les conflits sanglants entre les 400 tribus du Zaire! Des que les representants de 1' une ou l'autre tribu, emergeant de 1' interieur ou venant de l'exterieur, se montrent particulierement agressifs et entreprenants pour une reorganisation de leur solidarite interne, cela reveille les reflexes de paranoia et de psychose collective chez les membres des tribus voisines! Les crimes de "genocide" ou de "haine ethnique" sont tributaires de ce type de logique. L'affirmation isolee d'une "ethnie particuliere" £quivaut a une incitation a la haine des autres, par suite de ces frustrations, et autres instincts de conservation. De sorte que l'exaltation exclusive d'une ethnie, enclenche une dialectique infernale ou "le mepris pour ce qu'on est devient plus insupportable que lamisere qu 'onporte"? C'est ainsi que, dans le cas du Zaire, au-delades cadres juridiquesetriquescarn'ayanten rienrespecte leur propre doctrine, l'histoiredes tribus, deliberement ecartee de l'histoire de la nation moderne, semble se venger de qui se faisait sans elle! Mais l'analyse, plus ou moins globale, de la Transition dans 1'ex-Zaire, permet de mieux rendre compte des lacunes et des limites d' une quete de"mocratique aussi paradoxale. La Transition au Zaire La Transition dans Pex-Zai're represente un moment ou le Changement a e"t6 eVige en morale reVoIutionnaire, et en une veritable utopie mobilisatrice. Une utopie qui exigeait la gestion de demandes sociales diffuses autant que la resolution de frustrations, de conflits et psychoses tres agressives. Plus encore que la defense d'interets de classe, de region, de religion ou d'ethnie, il s'agissait d'un r6ve qui englobait a la fois une certaine idee de l'ordre politique, une certaine ide"e de la Triomphe et Crise de L'idee Democratique 53 grandeur nationale, une certaine idee du Citoyen dans son bonheur et sa s£curit£ quotidienne. Cependant, aucun critere classique d'analyse des doctrines ou des partis politiques n'a permis de cerner ni d'orienter cette utopie. Periodisation Pour mieux comprendre ceci, tentons done une rapide analyse de la transition, avant d'aborder celle des partis politiques. Et d'abord un essai de periodisation selon trois plans: l'evenementiel, le juridique et le thematique. Sur un plan purement evenementiel, et en considerant la pdriode allant de Janvier 1990 au 17 mai 1997, on peut retenir 5 phases dans la transition democratique: les consultations populaires; la creation des partis politiques; la Conference Nationale Souveraine; la crise institutionnelle et 1'internationalisation du "dialogue". Sur un plan juridique, en se refe'rant aux textes constitutionnels qui ont r6gi la periode de transition, 3 cadres juridiques sont a relever: i. la Constitution revisee, a savoir la Constitution mobutiste de 1967 qui a subi sa 17e revision le 5 juillet 1990 en separant notamment 1'Etat du Parti. Le President MOBUTU pretendait encore a la gestion du pays en tant que Chef de l'Executif, ainsi qu'au controle de l'initiative et de l'orientation des changements. ii. I'Acte Constitutionnel Harmonise relatif a la periode de. la Transition (18 mars 1993). La Conference Nationale Souveraine avait sorti un "Acte portant dispositions constitutionnelles relatives a la periode de transition". Cet Acte, conteste par le President MOBUTU et sa mouvance modifiait la structure de l'Etat en terme administratif (fed^ralisme), en terme politique ("Le President regne mais ne gouvernepas", soit done un regime strictement parlementaire), en terme nominal meme (changement du nom, de l'hymne et des emblemes du pays). Apres de longs d£bats, on etait arriv6 au fameux Compromis Politique Global du 31 juillet 1992 ... et - apres l'organisation du Conclave Politique du Palais de la Nation - a I'Acte Constitutionnel Harmonise. Acquis majeurs: le Premier Ministre vient de l'Opposition; la decentralisation du pays est acquise. Le Haut Conseil de la Republique, emanation de la Conference Nationale et l'Assembl£e legislative, issue des elections de 1987 en plein regime du Parti-Etat fusionnent pour constituer une seule assemblee baptisee: HCR-Parlement de transition. iii. L'Acte Constitutionnel de la Transition. Defenseur farouche de l'Acte produit par la Conference Nationale, l'Opposition radicale, le leader de l'UDPS, Etienne TSHISEKEDI en tete, n'acceptajarnais l'Acte Harmonist ... quoique BIRINDWA, qui en a e^ le premier bdneTiciaire, fflt un membre (dissident) de l'UDPS. Les nesociations aboutirent a un Protocole d'accord 54 Kabuya Lumuna Sando (Janvier 1994) et a I'Acte Constitutionnel de la Transition. Celui-ci reprit pratiquemcnt tous les acquis de I'Acte portant dispositions constitutionnelles, produit par la Conference Nationale, sauf le changement de nom et la nature du Parlement. Cet Acte fut accepte par 1'Opposition radicale, et il fut proclame avec la benediction de la Communaute Internationale represented par l'envoye special des Nations-Unies, Mr BRAHIMI et les ambassadeurs de la Troika (Etats-Unis, Belgique, France). Sur un plan thematique, il est interessant de relever que le processus de democratisation a connu de longs debats autour de certains enjeux forts. En dehors de la Conference Nationale, la resolution de ces debats a necessite de nombreuses rencontres, dont certaines presidees par des personnalites exterieures telles que le Senegalais WADE et l'Algerien BRAHIMI. Citons notamment: la Rencontre de Nsele (Janvier 1991), le Palais de Marbre I (septembre 1991), le Palais de Marbre II (Novembre 1991), la Rencontre d'lyonda (5 avril 1992), le Compromis Politique Global (31 juillet 1992), le Palais de la Nation (27 octobre 1992), la Tripartite de Gbadolite (22 novembre 1992), le Conclave des Partis politiques (Mars 1993). Les Themes Majeurs du Debat Politique Les enjeux majeurs des debats connus pendant la Transition democratique ont ete de 5 ordres: i. Les prerogatives du Chefde I'Etat par rapport a celles du Gouvernement A ce ni veau le principe de la separation des 3 pouvoirs a ete consacre. Mais le debat etait davantage celui de savoir si on allait etablir un regime "presidentiel", "semipresidentiel" ou "parlementaire". Le Compromis Politique Global du 31 juillet 1992, qui a instaure l'esprit de cohabitation pendant la Transition, a ete l'acquis le plus decisif de ce debat. Le principe selon lequel il y aurait des domaines de collaboration (Defense, Relations Exterieures, etc.) - plutot que des domaines reserves - date aussi de ce Compromis. La Transition ayant ete considered comme "la prefiguration de la Me Republique, on peut dire que le Conclave de Mars 1993, et mieux encore, les Accords du 12 Janvier 1994 ontessentiellement consacre les principesd'un regime parlementaire, en harmonisant les termes de la Constitution de 1967 revisee et les termes de "I'Acte portant dispositions constitutionnelles relatives a la periode de Transition", issu de la CNS. A partir de I'Acte Constitutionnel de 1994, le president MOBUTU n'avait plus juridiquement, que le pouvoir de decider de son cabinet politique et des decorations dans les ordres nationaux! Citons quelques indications pour illustrer ceci: la composition du gouvernement n'etait plus laissee a sa seule initiative; ses ordonnances devaient porter un contreseing ministe'riel; le Gouvernement determinait et conduisait la politique du pays. Triomphe et Crise de L'idee Democratique 55 ii. Le pouvoir de la Conference Nationale Souveraine et du Haut Conseil de la Republique Ces institutions ont reclame la suprematie totale notamment par rapport a l'Assemblee Nationale issue des elections de 1987, par rapport au Chef de l'Etat et par rapport au Gouvernement. A cet egard, il a ete acquis que la CNS devait etre le lieu du consensus entre les forces politiques et le centre d'arbitrage entre les institutions. Cependant, sa souverainete a du etre attenuee. Souvent des decisions majeures ont du etre reexarninees a travers des concertations parallkles cornme nous venons de le relever. Dans la meme lignee, apres tesAccords du Palais du Peuple, le Haut Conseil de la Republique-Parlement de Transition joua davantage, et peniblement, le role classique d'un Parlement dans un regime parlementaire. iii. Vinitiative du processus de changement La Conference Nationale Souveraine et le Haut Conseil de la Rdpublique ont revendique le monopole de la conduite et de 1'orientation du changement, en s'opposant a l'Assemblee Nationale, issue des elections de 1987, et au Chef de l'Etat. Alors qu'il a declenche lui-meme le processus democratique en avril 1990, le President MOBUTU s'est retrouve soupgonne de blocage du meme processus. Les milieux occidentaux particulierement ont alors repercute les theses cheres a l'opposition: "Ou MOBUTU accepte de regner sans gouverner ou il quitte le pouvoir pour permettre la bonne poursuite du processus democratique". La diabolisation du Marechal MOBUTU et de sa farnille politique a constitue la strategie de 1 'opposition pour reclarner / 'exclusivite de I 'initiative du processus democratique au Zaire... These que reprendra, a son avantage, 1'AFDL de Laurent Desire KABILA. Toutefois, le principe de la separation des trois pouvoirs, celui du consensus necessaire pour les grandes decisions, et enfin celui d'avoir un Premier Ministre issu de l'opposition, ont pu garantir le partage de l'initiative du processus. iv. Le choix du Premier Ministre de la Transition Suite au Compromis Politique Global, le Chef de l'Etat a accepte le principe selon lequel le Premier Ministre devait etre choisi librement au sein de la Conference Nationale Souveraine. Ce fut le cas du Premier Ministre TSHISEKEDI. Le meme TSHISEKEDI qui, quelques mois plus tot, le 21 juillet 1992, avait ete nomme par le Chef de l'Etat, et qui avait alors refuse cette nomination, fut ne'anmoins elu le 15 aout 1992, parmi d'autres, et nomme ensuite Premier Ministre, par le President MOBUTU, le 19 aout 1992. Tout en restant attache a ce principe, le Chef de l'Etat a de'rnis Monsieur TSHISEKIDI de ses fonctions de Premier Ministre le 2 decembre 1992. C'e'tait signer une longue controverse sur la le"gitimite de tous les Premiers Ministres qui 56 Kabuya Lumuna Sando se sont succede apres cette destitution. Etienne TSHISEKEDI se considerera jusqu'au bout comme le seul Premier Ministre legal; il entendra meme definir le debut de la vraie Transition a partir du moment ou il exercerait pleinement ses fonctions. v. Le calendrier electoral Le President de la Republique, le Marechal MOBUTU etait d'avis que les elections fussent organisees le plus rapidement possible, soit au plus tard le 31 decembre 1994, et ce, en presence d'observateurs etrangers. Mais pour 1'opposition, 1 'equation etait: "electionsrapides ... celasignifieMOBUTUqui triche ou qui controletout!" Tandis que pour 1' extdrieur, l'equation etait apparemrnent plus tranchee: "elections retardees valaient mieux que elections avec MOBUTU comme candidat". L'opposition estimait generalement qu'elle n'etait pas encore prete pour les elections. Des motifs subjectifs (espoir d'avoir des moyens apres un passage aux hautes fonctions de l'Etat), et objectifs (situation economique catastrophique) se melaient pour justifier cette attitude de l'opposition. Le President Mobutu de son cote tenait a "lever son fameux defi" lance a Goma, pour demontrer qu'il 6tait encore populaire, et apte a gouverner le pays! Devant la crainte de ne pas pouvoir presenter un challenger solide pour le battre aux elections presidentielles, l'opposition a longtemps mise sur la strategic de diabolisation pour obtenir la mise a l'ecart du President MOBUTU. L'echec de cette strategic pouvait expliquer la volonte de retarder au maximum les elections. vi. Au-dela de ces cinq points d'ordre institutionnel un sixieme enjeu etait celuide Vequilibre entre l'Etat Central et les regimes Les theses federalistes ont largement triomphe au sein de la Conference Nationale Souveraine. Mais trois pesanteurs se sont lourdement imposees: (a) le federalisme, qui souvent s'accommode mieux du presidentialisme, offrait une perspective fragile car la classe politique rejetait toute idee de regime pr6sidentiel rappelant trop la dictature; (b) le federalisme fut fragilise par les malheureux evenements du Katanga et du Nord-Ki vu ou la question tribale reveilla des passions meurtrieres. Retenons que sur la question de la "nationalite" debattue essentiellement au regard des tensions qui prevalaient au Kivu, la Conference Nationale avait soutenu les dispositions legales en vigueur. Ce qui signifiait qu'elle n'avait pas reconnu la "nationalite d'origine" rec\am6e par les Tutsi immigres...qu'onappellera plus tard Banya Mulenge. (c) dans chacune des plates-formes rivales, on trouvait autant de fe"de"ralistes que d'unitaristes! Les Forces Politiques Quatre categories de forces politiques sont a signaler: les partis et les plates-formes; Triomphe et Crise de L'idee Democratique 57 les organes de presse; les syndicats et les diverses associations culturelles comptant comme representants de la Societe Civile. A l'ouverture du processus democratique au Zaire, le 24 avril 1990, le President MOBUTU annonija malencontreusement la decision de limiter la democratic zai'roise a l'existence de trois partis politiques autorises! Mais, ce rate' d' un mauvais depart du processus de democratisation n'empecha pas de voir apparattre entre 1990 et 1994 plus de 400 partis politiques. II est certainement hasardeux de faire une categorisation de ces partis, de leurs ideologies et orientations politiques. Nous nous limiterons, pour notre part, a la presentation des forces politiques telles qu'elles se sont presentees dans les trois moments suivants: a la Conference Nationale Souveraine; au Conclave Politique de Kinshasa; aux Accords du Palais du Peuple. Si a la Conference Nationale on a pu denombrer pres de 200 partis politiques, il est interessant d'observer deux evolutions contradictoires: (a) pendant et apres la CNS, le nombre de partis politiques est passe a plus de 400; (b) en meme temps, les dialogues et concertations connus depuis le Conclave de Mars 1993 ont amene la classe politique a fonctionner davantage par plates-formes que par partis politiques. De sorte que, aux Accords du Palais du Peuple en Janvier 1994, le pays etait domine par deux platesformes: les FPC et l'USORAL qui, apres avoir boude' le Conclave, allaient se diviser sur la question du Premier Ministre en entralnant la constitution de 1URD (Union pour la Republique et la Democratic). Mais, si on a pu relever un nombre impressionnant de partis politiques officiellementenregistres,ilfautsouligner que lefonctionnementde la democratic n'a pu se faire que grace a des regroupements par "Union" ou "Plate-forme". Voici les plus importantes: i. L'USORAL (Union Sacree de l'Opposition Radicale et Allies), constitute essentiellement de l'UDPS, du PDSC, de 1'UDI, vite eclatee en USORAS, USORAL et URD;4 ii. Le Regroupement des Forces Democratiques (essentiellement l'ancienne, plate-forrne) AFICI (centristes), et quelques allies; iii. Les FPC (Forces Politiques du Conclave), Mouvance Presidentielle, puis ADELI (Alliance Democratique pour les Elections Libres) re"unissant le MPR (Mou vement Populaire de la Revolution) dirige parMOBUTU, B ANZA MUKALAYI; l'UFERI (Union des Federalistes et des Republicans Inde"pendants) dirigee par Gabriel KYUNGU WA KUMWANZA et NGUZ A KARE I BOND; et le FCN (Front Commun des Nationalistes) dirige par Tony BULA MANDUNGu et Gerard KAMANDA-WA-KAMANDA. S'ajouterent aux FPC quelques allies issus generalement de la dissidence UDPS (BIRINDWA, LIHAu) et AFICI (Bernardin MUNGUL DIAKA); iv. La Societe Civile ou se retrouve l'expression "ge'opolitique", a savoir 58 Kabuya Lumuna Sando essentiellement differentes associations regionales de developpement, de culture etc. ... v. Le PALU: Parti Lumurnbiste Unifie (Antoine G1ZENGA) -II convientde signaler que trois references determinent generalement la vie politique au Zaire: La reference ideologique des parties et des plates-formes, qui est fort negligeable; La reference geographique ou regionale; Les references tribales, qui se negocient derriere le theme de "geopolitique". Au niveau de la presse, le Zaire a connu une floraison de journaux: pres de 169 titres sur lesquels plus ou moins 82 seulement paraissaient encore en 1994, dont 42 dans la capitale et 40 en regions. Au plan syndical, des elections ont ete organisees apres lesquelles, sur les 80 qui ont ete agrees, les trois syndicats suivants ont emerge: UNTZA (proche de la Mouvance Presidentielle), CDT et CSZA (tendance chretienne). Partis Politiques: Organisation et Cadre Juridique Les formes de protestations, observees pendant la transition democratique, meritent d'etre analysees, tant dans leurs organisations que dans leurs modes d'actions. A cote des "partispolitiques", forme legale, la protestation collective s'est organised autour des mouvements "religieux", du genre "Groupe Jeremie" ou des pretres engage's ont travaille essentiellement au reveil et a la mobilisation des consciences devant la corruption des gouvernants et la misere du "peuple". Les syndicats ont joue' un role relativement peu remarque. Diverses associations reunies au nom de la "Societe Civile" defrayerent un moment les chroniques, sous la direction d'un medecin, le Docteur Elias NUMBI. Mgr MONSENGWO lui-meme a ete un celebre representant de cette Societe Civile. Di visee entre la Mouvance presidentielle et l'Opposition, la Societe Civile a fini par naviguer sans leader ni doctrine precise. L'identif-cation par region paraissait le seul indicateur facile a apprehender pour apprecier ses composantes. En termes d'action, on peut relever plusieurs types d'action collective de protestation: le pillage des maisons et autres biens de personnalites locales liees de pres ou de loin au pouvoir dominant, les journees "ville morte", les greves, les marches avec banderoles et slogans ou la circulation des groupes organises a bord des camions ou des voitures arrachees a leurs proprietaires en pleine rue, ont ete les modes d'action les plus marquants. Au dela des repressions brutales et sanglantes, la negociation et l'esprit du "consensus" ont prevalu pendant la Transition democratique. Un "consensus" tellementrecherchequ'ilapratiquementfavoriselareorganisationd'unu/ia/Hwiwwe difficile a obtenir. D'ou les lenteurs et les paralysies sinon les frustrations qui ont braque" les uns et les autres dans un esprit de totalitarisme et d'intole"rance. L'histoire de l'organisation et du fonctionnement des partis politiques est assez eclairante, a ce sujet. Une histoire qui a commence dans l'esprit assez dirigiste d'une "democratic controlee". Triomphe et Crise de L 'idee Democratique 59 Apres le discours du 24 avril 1990, le processus de democratisation a 6l6, de par 1'article 8 de la Constitution du 24 juin 1967 telle que revisee le 5 juillet 1990, consacre par deux lextes de lois: ce fut d'abord la loi n° 90-007 du 18 juillet 1990 portant organisation et fonctionnement des partis politiques. Cette loi a etc l'objet d'une modification portee par la loi n° 90-099 du 18 decembre 1990. Dans le meme ordre d'idee, il y a eu l'ordonnance n° 90-137 du 19 juillet 1990 portant creation et organisation de la Commission d'agrement des groupements politiques. L'opposition refusa ce dirigisme, et cette ordonnance tomba vite en desuetude a la suite precisement de la modification du 18 decembre 1990 que nous venons de signaler. Le deuxieme texte fut la loi n° 90-008 du 25 novembre 1990 portant revision d'une disposition de la Constitution. Cette loi modifia l'article 8 en prevoyant une loi fixant organisation et fonctionnement des partis. Ces deux textes ont represente deux etapes: celle du multipartisme limite, et celle du multipartisme integral. Le Multipartisme Limite Nous parlerons de multipartisme limite dans la mesure ou la creation des partis politiques a ete instauree avec plusieurs reserves ou limitations propres a ce que nous avons appele "democratic controlee". Cinq types de limitations ont pu etre releves: i. Limitation numerique Le discours du 24 avril 1990, puis l'article 8 de la Constitution du 24 juin 1967 telle que revisee le 5 juillet 1990 limitait le multipartisme a trois; ii. Limitation doctrinale "La loi du 18 juillet interdisait la constitution de groupements ou de partis politiques a qualifications discriminatoires sur la base de la race, de I'ethnie, de la religion, du sexe, du secteur, de la langue, de la region ou de toute autre discrimination"! Par exemple trois-quarts des membresdu Comite directeur d'un parti ne pouvaient pas etre de la meme region! Manifestement, cette norme pechait contre I'idee (art. 6 Alinea b) de democratic fondee sur le conflit et la liberte de conscience. Si, par rapport aux droits de l'homme, les discriminations a base de race ou de sexe sont combattues, il est difficile de comprendre l'interdiction des formations d'interet ethnique, regional et surtout religieux. Les partis catholiques ou Chretiens ont existe et existent dans d'autres democraties. Au Zaire, en 1960, on a eu un certain nombre de groupements politiques a base ethnique (AB AKO, B ALUB AKAT, UNIMO, CONAKAT, etc.). De plus, il n'est pas rare, meme dans les pays industrialists de voir le conflit democratique epouser le clivage ethnique ou linguistique (Belgique, Balkans, Canada, etc.); iii. Limitation administrative La loi aetabli la distinction entre "groupementpolitique " et"partipofitique ". 60 Kabuya Lumuna Sando C'est une autorite speciale qui devait reconnaitre le parti politique, etce, sur base de "classement en ordre utile aux elections qui devaient etre organisees a cet effet sur toute l'etendue du territoire national"! Et avant de passer aux elections, le groupement politique devait etre enregistre par une commission interministerielle. En effet, l'article 2 de la loi du 18 juillet stipulait les definitions suivantes pour le groupement politique et le parti politique: Groupement politique: "Une association privee rassemblant des personnes physiques de nationalite zairoise autourd'une ideologic et d'un programme politique communs et aspirant a devenir un parti politique, mais non dotee de la personnalite juridique". Le groupement etait tenu a l'enregistrement, moyennant un cautionnement verse au tresor public. L'enregistrement exigeait une serie de declarations prealables et le depot de statuts comportant notamment les principes fondamentaux qui devaient servir de base a tout programme que le groupement politique entendait promouvoir. Parti politique: "Une association privee dotee de la personnalite juridique et rassemblant des personnes physiques de nationalite zairoise autour d'une ideologic et d' un programme politique commun pour la conquete et 1' exercice democratique du pouvoir!" La reconnaissance du parti se faisait, aux termes de l'article 10, par un arrete du ministre ay ant 1'administration du territoire dans ses attributions (ministere de l'interieur). Cette nomenclature officielle n'empecha pas d'observer pres de 18 types de noms differents. Les partis s'intitulant forces, fronts, alliances, associations, coalitions, com~ention, congres, forum, jeunesse, ligue, mouvement, organisation, partis, rassemblement, union, solidarite, confederation, etc. iv. Limitation socio-prof essionnelle L'article 4 stipulait: "Les membres des forces armees, des forces de l'ordre et ceux des services de securite, les fonctionnaires et agents de carriere des services publics de 1'Etat, les agents des services publics et les magistrats ne peuvent s'affilier a un groupement politique ou a un parti politique". v. Limitation financiere Cette limitation etait consacree par l'article 5 qui soumettait l'enregistrement au paiement d' un cautionnement. Pour l'epoque, le montant exige n'etait pas necessairement a la portee de tout citoyen. Multipartisme integral La deuxieme 6tape, consacree d'abord par la loi du 25 novembre 1990, a ete caracterisee par la suppression de toutes ces limitations, et done par l'ouverture democratique totale. La limitation numerique a ete levee dans la mesure ou il etait admis qu' il y aurait autant de partis que d'aspirations exprimees. La limitation administrative a ete supprimee. L'article 10 de la loi modifie'e Triomphe et Crise de L 'idei Democratique 61 stipulait: "l'arrete d'enregistrement emporte de plein droit la reconnaissance officielle et l'octroi de la personnalite'juridique". II n'y avait done plus que la procedure de demande d'enregistrement qui devait s'effectuercontre une attestation de depot delivree par le ministere de l'administration du territoire. La limitation financiere exprimee par le cautionnement a ete egalemcnt supprimee. II n'y avait done plus de distinction a faire entre groupement politique et parti politique. II n'y avait plus de critere electoral en "ordre utile", ni non plus de commission interministerielle chargee d'enregistrement, pour decider de l'existence juridique d'un parti politique. Typologie des Partis Politiques Nous savons que les politologues rangent habituellement les partis politiques selon l'origine sociale des membres, selon l'ideologie, le programme, selon le mode de mobilisation, de financement, etc. Dans 1'evolution des partis politiques au Zaire, ces variables neparaissent pas toujourssignificatives pour determiner la singularity d'un parti. Si nous nous referons aux criteres de la definition legale du parti, deux facteurs peuvent permettre une typologie: 1° l'ideologie commune et 2° le programme politique commun. Ces deux criteres se resument en un seul finalement: les principals orientations on les principes fondamentaux. La legalite de ce critere a favorise notre recherche, dans la mesure ou les principes fondamentaux devaient figurer dans les statuts a deposer, et etaient done, -de ce fait - accessibles au chercheur. Nous avons tente cette typologie en eclatant ce critere en plusieurs autres, de fa.con a schematiser trois grandes orientations: economique, politique et culturelle. Cependant, il convient de relever un constat plutot etonnant: sur 187 partis politiques analyses, 59,3% n'avaient pas precise leurs orientations politiques dans les statuts; 66% n'avaient affirmeaucune orientation economique et 82% n'avaient aucune orientation culturelle. On pourrait expliquer ce vide ideologique par le fait que la plupart des partis politiques furent crees dans l'esprit de "mouiller" l'oppositionlaplusradicale en participant massivementalaConference Nationale. Celle-ci devait comporter des "partisans" manipulables et depourvus de convictions originales. D'ou la these des "partis alimentaires" crees par des leaders necessiteux. Mais une autre hypothese explicative pourrait etre seulement que les partis politiques s'encombrent davantage de programmes d'action que d'ideologie ou de representation d' interets particuliers de classe ou de culture. D'ou la these de la personnalisation du systeme politique. L'Orientation Politique Le debat zairois est reste, au plan politique, caracterise par deux types de querelles: ce\\epoTtantsur\esaUributionsdcV cxecutif :presidentialismeouparlementarisme. et puis la querelle entre les tenants d'une structure federate et les tenants d'une 62 Kabuya Lumuna Sando structure unitairc centralist, l'Etat. Sur les 187 partis consideres, 111 n'ontpas precise leur position. Des 76 qui ont apporte une reponse, nous avons denombre 32 federalistes (42%) et 23 unitaristes (30%), tandis qu' un nombre assez important de 21 soit 27%, ont affirme leur option pour un Etat decentralise. Fallait-il ranger les tenants de la "decentralisation" parmi les unitaristes ou parmi les federalistes? Sur le plan de la theorie, on peut affirmer que la federation et la decentralisation relevent d'une meme doctrine federaliste. Maurice DUVERGER n'a-t-il pas caracterise la federation par un degre plus eleve que la decentralisation? Cependant, sur le plan emotionnel et historique, en se souvenant done des clivages qui, en 1960, avaient separe les unitaristes lumumbistes et les federalistes proches de KAS A VUBE et de TCHOMBE, il nous a semble que la "decentralisation" etait davantage la variante trouvee par les Unitaristes dec,us des effets pervers de la Centralisation. Ainsi, si on range les 21 partis qui etaient pour la "decentralisation" parmi les 32 qui etaient pour le "federalisme", on arriverait a une proportion de 28,3% contre 12,3% d'Unitaristes. Si par contre on range les 21 partis avec les Unitaristes, on aurait 17% de federalistes contre 23,6% Unitaristes. Nous pourrions conclure que la tendance federaliste est plus fortement affirmee. L'Orientation Economique Les options sur le type de structure economique semblaient se reduire aux deux grandes tendances universelles (liberalisme et socialisme): sur 65 partis qui ont affrme leur option, 58, soit 30% se sont ranges dans le liberalisme et ses variantes, 6 seulement dans la voie socialiste du developpement (10%). Plus de cent partis consideres, exactement 123 qui represented 66% n'avaient aucune orientation economique a indiquer! L 'Orientation Culturelle D'apres les textes analyses, e'est a ce niveau qu'il est apparu le plus grand flou idcologique. On a retrouve au chapitre de l'orientation culturelle 12 fois le theme dc l'authenticite, 9 fois 1'affirmation "nationalisme", 5 fois le theme de la "theocratie", 4 fois le "panafricanisme", 4 fois 1'affirmation du "pouvoir des chefs coutumiers". Sur 187 statuts analyses, 153 e'est-a-dire 82% n'ont pas declare leur orientation! On peut en conclure que l'orientation culturelle n'etait pas une grande preoccupation et qu'elle ne constituait done pas une variable significative du debat politique zairois. L'Implantation ou L'importance Relative L. impiumuHon uu L. importance Relative L' importance relative est normalement saisie apres les elections. On peut toutefois, avant ou en dehors des elections, considerer le siege principal d' implantation. Sur 187 partis politiques recenses parmi ceux qui ont participe a la Conference Nationale Souveraine, nous avons pu constater que 10 seulement avaient leur adresse d'implantation a 1' interieurdu pays: 3 au Haut-Zai're, 1 au Kasai-Occidental, 2 au Kasai-Oriental, 3 au Shaba, 1 au Sud-Kivu. Dix n'ont donne aucune adresse. La plupart des partis politiques ont signale leur siege dans la capitale. A premiere vue, l'implantation du parti a l'interieur du pays est la plus importante dans la zone d'origine, dans la sous-region d'origine ou la region d'origine du principal animateur du parti. Ce qui, devant la faiblesse des orientations doctrinales, renforcerait la these de la personnalisation du debat politique, et de la prevalence de la geopolitique dans le debat zairois. Dans ces circonstances, on risque de voter davantage pour les indi vidus, en fonction de leur valence propre liee a la solidarite tribale et regionale, plutot que pour les doctrines ou les programmes particuliers des partis. Principals Orientations des Partis Politiques (pendant la CNS) I. Orientation politique Federalisme Unitarisme Decentralisation Sans reponse Total II. Orientation economique Liberalisme et variantes Socialisme ou etatisme Sans r6ponse Total Triomphe et Crise de L'idee Democratique 63 Nombre de partis Pourcentage % 32 23 21 17,0% 12,3% 11,3% 111 187 59,3% 100% 187 Nombre de partis 58 Pourcentage % 31% 3% 6 66% 123 187 100% 187 64 Kabuxa Lumuna Sando Pourcentage III. Orientation Nombre de partis % 6% 12 5% 3% 9 5 culturelle Authcnticite Nationalisme Theocratie 2% 4 Panafricanisme Pouvoir des chefs 2% 4 coutumiers 82% 153 100% 187 Sans reponse Total Conflits Issus de La Transition 11 est bien etabli que le lien social, dans une nation, ne peut se reduire aux seuls interets materiels. Les grandes mobilisations de masses sont la pour l'attester et des " valcurs" comme "le gout de I 'utopie et d 'un certain ordre dans lefonctionnement de la societe", "des objectifs eleves d'ordre moral", "des appels a la grandeur et au sacrifice pour le pays, pour la tribu, pourl'Etat" sont des facteurs organisateurs qui ont fait leurs preuves.5 Nous avons decrit les themes qui ont vu s'opposer 1'Opposition et laMouvance presidcntielle. Nulle part, a aucun moment, le discours politique des partis n'a du ouvrir le debat sur la politique de la sante. On deplorait partout les piteuses conditions de travail sans ouvrir de debat sur le salaire mimum acceptable. On parlait de developpement, sans ouvrir de debat sur ce qui pouvait etre "les priorites" pour les uns ou pour les autres. Le depouillement assidu des journaux ne revele pas l'existence de tels debats, tandis que l'opinion generalement repandue par les journaux et par la rue affirmait plutot que la classe politique etait mediocre. Cependant, a cote des themes qui etaient presque tous de caractere "juridico-politique", et qui pouvaient etre resumes en un seul: le debat constitutionnci, tel qu' il a occupe les esprits depuis 1960, il y a eu d'autres conflits qui ont surgi "malgre" laclasse politique qui se concentrait a Kinshasa. Notamment deux grands conflits d'ordre ethnique: i. le refoulement des Kasaiens hors du Katanga, semblait reveiller les vieux demons d'un "pankatangisme" pur et dur ... autant que la brulante question de la citoyennete, quand il s'est agi de definir les "residents", ou quand il s'est agi de definir les voies et les modalites de developpement des regions et les localites, a travers des asblintitulees"Cwwei7rfed«w loppement economique et social" de telle ou telle province"\ Triomphe et Crise de L 'idee Democratique 65 ii. la revoke des Tutsi descendants de refugies des incessantes guerres du Rwanda et du Burundi, semblait, quant a elle, reveiller la brulante question de la nationalite, sans poser la question d'une citoyennete nouvelle, ni remettre en cause un nationalismc tribal virulent que les Tutsi et leurs protagonistes affichaient chacun allegrement... pour a la fois justifier de la conformite a la loi de 1981 sur la nationalite, et pour un panafricanisme plutot agressif. Nous y reviendrons dans l'analyse de la question de la representation. iii. un troisieme conflit a signaler est celui - a caractere professionnel - des fonctionnaires de I'Etat, dont les greves larvees ont irremediablement mine les fondements de l'administration publique; et puis celui des militaires qui par deux fois se sont livres a des pillages qui toucherent gravement les infrastructures economiques. A ce stade, quelle conclusion positive tirer de ces constatations? Une reserve s'impose, devant ces apparentes inadequations entre les "aspirations", le "reve" et l'organisation et les discours des partis politiques. II faut en effet relever que, pour certains, les debats de fond etaient a regler, non pas pendant la Transition, mais apres les elections, e'est-a-dire avec des Institutions et des acteurs dument legitimes. Mais deja les actes de la Conference Nationale, si judicieux fussent-ils, n'exer9aient-ils pas des instructions uniques presentees comme imperatives et totales, exactement comme dans tout regime a parti unique? N'est-ce pas la deja une reorganisation de la pensee totalitaire? En restant sur la question de l'efficacite des partis politiques et du discours des leaders, il semble que deux conclusions peuvent etre tirees de la situation decrite: • il yavait encore predomi nance de la pensee total itaire.Chaque leader, chaque parti, etait convaincu qu'a lui seul, avec son parti seul les choses pouvaient aller mieux au Zaire. Malgre, ou a cause meme des faiblesses doctrinales, le debat de la democratisation a pu apparattre comme un debat de sourds ou de dupes: lecompromis issude laconcertation n'etait plusqu'une "lachete" ou une trahison" a lever au plus vite! Comment etre democrate en pensant que le cahier de charge qu'on apporte a cote de celui des autres, doit trouver satisfaction sur toute la ligne, et immediatement? • la deuxieme conclusion, e'est la personnalisation de la vie politique ou done seul "le charisme" ou les "relations" du leader comptent! Laconnaissance et l'etude des biographies des leaders sera plus significative des discours politiques! Ce qui semble etre confirme par des attentes sociales diffuses, ou l'interet d'ordre social, l'interet d'ordre identatitaire, l'interet d'ordre moral ou se'euritaire semblent se meler et attendre, non pas seulement desprograrnmes techniques, mais le plaisir et la certitude de se realiser a travers un "grand homme". Avec quelles consequences ct quelles perspectives? 66 Kabuya Lumuna Sando Le Parti et La Representation: Adhesion et Legitimite Des analyses fines devraient pouvoir indiquer le profil des dirigeants et des membres d'un meme parti politique par rapport a leur situation sociale, par rapport a leur "doctrine ou pensee politique", par rapport a leurs origines gcographiques ou par rapport a leurs origines tribales. Devant le fait qu'aucune formation ne s'organisait dans le cadre des partis, et que done aucune ascension des responsables n'etait realised de fagon programmed, il ne serait pas ininteressant de s'interroger sur le niveau et le degre d'instruction des leaders: le debat d'idees propre a toute democratic exigeant tout de m6me une bonne maitrise intellectuelle, surtout dans les strategies de n6gociation et devant les concessions inevitables. Mais, a premier abord, les references de classe, ou de doctrine sont peu significatives dans le profil des leaders et des membres. C'est surtout les references gcographiques et tribales qui donnent une indication significative de l'adhe"sion a tel ou a tel parti politique. Entre la representation organisee sur base tribale a travers des associations ou des mutuelles, dans le cadre de la "Societe Civile", et la representation organised sur base partisane a travers des partis politiques, le danger le plus grand est le reflexe "nationaltribaliste", e'est-a-dire la tendance, pour les ressortissants de la tribu du ou des dirigeants principaux, a asseoir leur predominance en termes de "postes a responsabilite", en termes de "privileges garantissant faveurs et impunite", et meme en termes culturel par l'utilisation de la langue maternelle du Leader. Le constat a cet egard est general: meme dans le grandes villes, un leader politique etablit son fief electoral la ou il y a, demographiquement parlant, un grand nombre de ressortissants de sa tribu... ou, en complement de soutien, de sa province d'origine. Telle est la conclusion fondamentale de l'analyse des comportements politiques. 11 y a done echec, ou escroquerie des partis politiques qui se presenters a la fois comme lieu de reorganisation d'un nationalisme tribal par ailleurs nie et rejete philosophiquement, et comme lieu de rencontre autour d'une personnalit6 particuliere et irremplacable qui, finalement ne represente aucune "utopie". Ce qui, g^neralement, prepare le fascisme. Marx a etabli que chaque parti repre"sente les interets d'une classe. Au Zaire, les partis politiques ne representent officiellement aucune nation-tribale, ni aucune fraction sociale. Tous se reclament du peuple, ou des masses populaires. II s'agit done de "partis de masse". Ce qui est la forme generalement prise par les pensees total itaires. Que faire pour assurer une representation a la fois plus reelle et plus efficace de la socie"te civile? Une evidence merite d'etre soulignee: il est vain de raisonner democratic sans une politique de developpement qui valorise et rhomme et ses localites de base. Sans cette relation, on s'expose a une impre'visibilite inadmissible dans un Etat du XXIe siecle! II nous semble que le probleme sera sur une Triomphe et Crise de L 'idee Democratique 67 bonne voie de solution si 1' on pense d'abord, administrati vement, a la representation par village erige en commune. II est tout de meme etonnantde constater 1'emoi, la peurquand, parlantde nations tribales, on s'effraie du nombre: 400! Maiscombien y a-t-il de villages dans la Republique Democratique du Congo? Combien y a-t-il de communes en France, en Belgique etc qui jouissent d'une certaine autonomie, et qui peuvent, chacune, organiser leurs representations et orienter leurs politiques de developpement? Trahison des Leaders: Mentalite et Conception du Pouvoir L'idee democratique est en crise, mais elle n'est mauvaise ni inaccessible a I'Africain. Meme si le niveau de culture qu'elle exige pour bien fonctionner, impose un certain niveau de stabilite sociale, c'est-a-dire une certaine securite dans la reproduction sociale de ceux qui sont "arrives". Nous avons analyse les debats politiques. II est interessant de relever d'autres determinants, et notamment 1' idee selon laquelle la "politique" est une "mangeoire" faite pour I'enrichissement personnel. La mentalite ambiante et la conception du pouvoir ne plongent de racines ni dans la conception africaine de la royaute, ni dans la conception africaine de 1'autorite. Elles sont davantage proches des mentalites propres a toute societe soumise a un penible et furieux mouvement d'ascension sociale. "Chacun sa chance" I L'expression courante, avantde nommerquelqu'un a un poste etait de dire "Qu'on le laisse aussi manger". Le commentaire courant pour reclamer la cohabitation disait "llfaut que nous nous preparions aussi aux elections". Sous-entendu: le poste de responsabilite est recherche pour renflouer les caisses des candidats au detriment de celles de l'Etat. Sur 100 nouveaux ministres issusgeneralement de l'opposition, pres de 70% ont acquis, en achetant, leurs premieres maisons durant la periode de leurs mandats. Au rythme des remaniements, la duree moyenne a un poste ministeriel etait a peine de 6 mois pendant la Transition. A cote de ce climat, il faut citer les gros scandales: la fabrication des billets paralleles ... denoncee par le gouvernement Kengo; la vente des equipements rnilitaires, avant et pendant la guerre, aux ennemis; les contrats negocies dans la foulee des privatisations des mines ou des telecommunications qui ont permis aux differents ministres des Mines et Energie, des Pastes et Telecommunications, des Transports, de realiser des bonds spectaculaires dans leur standing de vie. Et encore, les postes gouvernementaux n'etaient pas tout, car les plus astucieux preferaient occuper des postes de chef d'entreprise ou I'enrichissement sans cause pouvait evoluer sous 1'etiquette rassurante de technocratic. Detail interessant devant ce tableau: malgre un acte clair de la Conference Nationale, ni TSHISEKEDI. ni aucun acteur attache aux acquis de la Conference Nationalenepensajamais a exiger des membresdu gouvernement et des dirigeants d'entreprises publiques la liste de leurs patrimoines respectifs avant et apres la dS Kabuya Lumuna Sando nomination a un mandal public. Seul, il faut lc relcver, des membres du Front l'ainoiic|uc (Dr SONDJI) s'en emurent. Tout ceci laisse supposer que la trahison vies iilccs pronccs (ndecssairement genereuses), caracterise gravement le Lomporicnicnt politiquc des leaders et la conception generale du pouvoir. (.'rise ou Eche? 11 faut nous poser la question de savoir pourquoi cette inefficacite a atteindre des objectifseonsiructifs. En attendant, lorsqu'on analyse la fin brutalede la Transition deinocratiquc dans ce qui etait alors le Zaire, on ne peut s'empecher de se demander pourquoi et comment l'opposition radicale, TSHISEKEDI en tete, a considere oinime siennc une bataille qui 1'excluait et qui rejetait le principe de non violence dans la conquctc du pouvoir. Comment a-t-elle reussi l'exploit de ruiner ainsi, aprcsy avoir travaillecourageusement,touslesacquisdelaTransitiondemocratique, au point de se retrouver, en moins d' une semaine, en position de premier adversaire clu nouveau pouvoir? Le secours des hommes de 1'Alliance a-t-il ete necessaire a raccomplisscment dc l'oeuvre de democratisation? ... C'est ce qu'il conviendra iloiablir, par l'analyse de cettc autre phase de la Transition, celle ouverte par Lament Desire KABILA, le 17 mai 1997. Mais rappelons-nous, devant les c\ encmcnls en cours, que VHistoire se venge de ce qui se fait sans elle! Notes i Alain TOURAINE: Qu'est-ce que la Democratic? Ed. Fayard 1994. 2. cfr KABUYA LUMUNA Sando: Conquete des libertes en Afrique! Essai de Sociologie politiquc. Ed Secco & Noraf 1995. 3. L'analyse de Joachim FEST sur les origines et les conditions d'emergence du nazisme, reste une reference interessante. Voir Hitler Jeunesse et conquete du pouvoir. Ed. Gallimard 1973. 4. UDPS: Union pour la Democratic et le Progres Social. PDSC: Parti des Democrates Socio-Chretiens: Leaders: Boboliko, Kititwa, J. Ileo. UDI: Union des Democrates Independants: Leaders: Thambwe Mwamba, L. Kengo. FPC: Force Politique du Conclave. USORAS: Union Sacree de TOpposition Radicale et Societe Civile. URD: Plate-forme regroupant l'UDI et le Front Commun National (FCN): Leader: Me Karnanda-wa-Kamanda. 5. Joachim FEST; op. cit.