Afr. j . poll,, sci. (1998), Vol. 3 No. I, 52-69 Les milices urbaines au Congo: La transition democratique et la dissemination des pratiques de violence Rimy Bazenguissa-Ganga* Les processus de transition democratique en Afrique se sont parfois accompagnes de plusieurs types de transformations sociales, entre autre celles du rapport que les gouvernes entretiennent avec les institutions detenant le monopole de la violence tegitime. Dans ce sens, la nouvelle regie politique, un "homme dgale une voix"a tendance a diss£miner l'usage de la violence politique au sein de la soci&6en dehors des organismes qui l'utilisent officiellement. Certains pays, comme le Congo, illustrent bien cette realite. Lors du monopartisme (1963-1990), seule l'eiite politique la violence qui controlait l'armee faisait usage de la violence. Par contre, 1'instauration du multipartisme entraina a deux reprises l'affrontement, dans la capitale, des fractions de la base electorate des leaders les plus puissants, organised en milices. Cependant deux situations doivent etre distingu6es. Durant les premiers affrontements, de 1993 et 1994, la majority des miliciens etait originaire de Brazzaville, tandis que lors des seconds affrontements, en 1997, les originaires des villes secondaires dtaient plus nombreux. Nous aborderons les conditions sociales de ce phinomene en quatre temps. Premierement, nous proposerons une chrononologie des affrontements. Deuxiemement, nous decrirons les milices dans les deux situations historiques de combats a Brazzaville. Troisiemement, nous expliciterons le phenomene de dissemination et, enfin, nous concluerons sur les relations que les Congolais entretiennent avec les forces armies. I - Chronologie des evlnements II convient de relier l'apparition des utilisateurs non-officiels de la violence 1027-0353© 1998 African Association of Political Science Les milices urbaines au Congo 53 le"gitime a l'histoire du Congo pour retracer, d'une part, l'eiargissement des camps politiques en conflits et, d'autre part, l'inscription de leur lutte dans la capitale. Le Congo a vecu, a partir de 1968, sous un systeme de parti unique marxisteleniniste domine par des militaires. Une conference nationale, tenue de fSvrier a juin 1991, a reinstaure le multipartisme. L'ordre politique institue se rdvele plut6t 1'expression d'un certain type de factionnalisme base sur trois partis puissants associes a des milices. La periode de transition, mise en place de juin 1991 a juillet 1992, prend fin a la suite des elections municipals, legislatives et presidentielles opposant pres d'une vingtaine de partis'. Trois d'entre eux s'imposent largement : l'UPADS (Union Panafricaine pour la Democratic Sociale) de Pascal Lissouba, le MCDDI (Mouvement Congolais pour la Democratic et le Developpement Integral) de Bernard KoleMas et le PCT (Parti Congolais du Travail), l'ancien parti unique, dirige par Denis Sassou Nguesso. Ces partis controlent les milices suivantes : la Reserve ministerielle, les Zoulou, les Mamba, les Ninja et les Cobra. Les trois premieres soutiennent l'UPADS, les Ninja appuient le MCDDI et les Cobra, le PCT. Ces milices combattent a deux reprises : en 1993-1994, a la suite de la dissolution de 1' Assemblee nationale, et, en 1997, a la fin du mandat pre'sidentiel. En juillet 1992, Pascal Lissouba accede a la magistrature supreme grace a l'alliance noue"e entre son parti, l'UPADS, et le PCT. Or, des octobre 1992, le PCT, me'content de la repartition des portefeuilles ministe'riels, rejoint l'opposition. Ce changement d' all iance fait basculer la majorite parlementaire d'ou, du point de vue constitutionnel, devait ne"cessairement provenir du Premier ministre, chef du gouvernement. L' UP ADS decide de dissoudre 1* Assemblee nationale. L'opposition organise une marche pacifique le 30 novembre 1992. Des coups de feu e"clatent provoquant la panique. Une centai ne de manifestants sont blesses et trois personnes, tue"es. Pour exprimer son mecontentement, la population se mobilise et eieve des barricades dans Brazzaville. Apres une periode d'accalmie, le 2 mai 1993, le premier tour des legislatives anticipees a lieu pour designer la nouvelle assemblee. Les resultats sont contestes par les opposants qui crient a la fraude et boycottent le deuxieme tour du 6 juin 1993. Pourtant, le President proclame les resultats et un gouvernement est mis en place. A son tour, l'opposition installe, le 27 juin, son propre gouvernement "de salut national". L'affrontement politique entre la mouvance presidentielle et l'opposition s'intensifie. Elle culmine surtout entre deux partis: l'UPADS et le MCDDI. Leur affrontement prend, de maniere sporadique entre 1992 et 1994, la forme de guerillas urbaines ou s'illustrent les Ninja, la Reserve ministerielle et les Zoulou. La bataille pour le controle des arrondissements sud-ouest (Bacongo et Makeiekeie) et est de la capitale (Mfilou) fait officiellement 2 000 morts, provoque le deplacement de 100 000 personnes et la destruction de 13 000 maisons. Ces guerillas urbaines produisent un nouvel equilibre politique fonde sur la 54 Rimy Bazenguissa-Ganga ouissance acquisc par les deux factions. Cet ordre consiste pour l'essentiel en un Ltaeedupouvoirentrel'UPADSetleMCDDI.Lamiseen place, en Janvier 1995, d'un gouvernement d'ouverture, ou les membres de ces deux partis figurent en force, consacre la fin des hostilite*, entennant les positions gagne"es pendant les affrontements. Us milices s'affrontent a nouveau en 1997, a la fin du mandat de Pascal Lissouba. Plusieurs phenomenes negatifs, aux yeux des congolais, marquent cette penode: les affrontements de 1993 et 1994, l'effondrement du niveau de vie des populations urbaines et les dissenssions au sein du pouvoir touchant, aussi bien, les partisans de Lissouba que ceux de Bernard Koleias. Face a cette situation les Congolais attendaient un renouvellement politique et manifestaient leur disapprobation lors des preparatifs de la campagne prgsidentielle de juillet 1997. Lore de ses voyages, Pascal Lissouba fut pris a parti dans les regions qui l'avaient pourtant votd majoritairement. En meme temps, Bernard Kolelas perdait de son credit politique. Ses partisans lui reprochaient, dans son adhesion au processus de paix, d'accepter les diktats du president a tel point que son parti semblait appartenir a la mouvance pr6sidentielle. En reaction contre la deception produite par ces leaders, le retour de l'ancien president Denis Sassou-Nguesso dans la capitale rompit l'6quilibre issu des affrontements de 1993-1994. Sassou pre"fe>a, au milieu de l'annee 1995, partir pour la France. II deplac,a, simultanement, sa milice de la capitale vere sa ville natale, Oyo. En Janvier 1997, son retour est fete triomphalement a Brazzaville par une foule de sympathisants et de badauds. La presence de Sassou intensifia lacompe'tition pour les elections presidentielles. Au mois de mai 1997, dans le cadre de sa campagne, il entreprit des tourn&s populaires dans les regions du Kouilou, des Plateaux et de la Cuvette-Ouest. Une situation de violence provoque'e par les Cobra a Owando, une ville secondaire situe"e dans la region de la Cuvette, servit de pretexte aux membres de la mouvance pre"sidentielle pour tenter d'arreter l'entreprise electorate de Sassou. Owando est la ville de Jacques Yhombi Opangault - le directeur de la campagne de Lissouba. Son parti, le Rassemblement pour le De"veloppement et la Democratic (RDD), controlait toute cette region. Quelques jours avant la visite de Sassou, le commandant Aboya, dirigeant les Cobra, l'executa a bout portant, sous pretexte qu'il projettait d'assassiner son leader, un militaire de la garni son d'Owando. Une semaine apres cet eVlnement, une seiie d' affrontements 6clatait entre les Cobra et les forces de l'ordre. D'autres confrontations se deioulerent, au cours du mSme mois, entre les militaires envoy^s dans ces zones, pour rdtablir le calme, et les forces de sdcurit6 de Sassou. Une vingtaine de personnes y trouverent la mort et quatre mille habitants, non ressortissants d'Owando, quitterent la ville. Pour£viterdenouveaux affrontements, les principaux leaders signent, Ie31 mai 1997, sous l'dgide du president de l'Unesco un traits selon lequel ils n'utiliseraiem plus la violence comme arme politique. Or, le 5 juin 1997, des combats gclatent Les milices urbaines au Congo 55 entre, d'une part, des militaires et des Cobra soutenant Sassou et, d'autre part, des militaires appartenant a la "mouvance prlsidentielle" et ses miliciens, a savoir la Reserve ministerielle rebaptisle les Cocoye, les Zoulou et les Mamba. Les deux parties avancent des raisons difflrentes. Selon le gouvernement, un bataillon des forces publiques, envoye" a la residence de Sassou pour lui demander de livrer les meurtriers d'Owando, aurait 6t6 attaqul par les Cobra. Quant aux partisans de Sassou, cette manoeuvre militaire n'ltait qu'une ruse pour assassiner leur leader. Les combats firent entre 10 et 15 000 morts. Lissouba recu le soutien de Bernard Kolelas - y compris ses miliciens - et de la majority des leaders de I'opposition. Malgrl cet appui, 1' affrontement tourna finalement, le 15 octobre 1997, a 1' avan tage de Sassou aide par une armee etrangere : les forces armies angolaises. 2- Les milices de 1993-1994 Les milices sont apparues avec le ren versement de la majority issues des premieres elections legislatives de 1992 qui ont entering la mise en place du multipartisme. II convient de presenter une pdriodisation qui etablit leurs entries successives dans le champ politique.2 Les Ninja apparaissent apres le 7 juillet 1993. A cette date, le gouvernement confie aux FAC (Forces Armies Congolaises) la mission de dltruire les barricades dans rarrondissement de Bacongo, ou vit Bernard Kolelas, le leader du MCDDI etde I'opposition. Les militants de ce parti rlsistent et foment les Ninja, premiere milice a apparattre "officiellement" au Congo. Celle-ci provient de l'amalgame de plusieurs groupes d'autodefense constituls a Brazzaville et dans la rlgion du Pool, en dehors des structures du MCDDI. L'efficacite sur le terrain de ces groupes decida certains leaders de I'opposition a les organiser. En riposte a l'attaque de 1'armee contre Bacongo, les Ninja attaquerent les partisans de la mouvance prlsidentielle sur ceterritoire. Les Ninja assurerent la security de cet arrondissement. A la fin des affrontements, un corps d'a peu pres 300 Ninja, principalement brazzavillois, fut constitul et regroupl dans les FAN. Une quinzaine d'entre eux renforcerent la garde officielle de quinze militaires protlgeant Kolllas tandis que les autres contr61aient le "port de la Main Bleue". Malgre" cette selection, les Ninja craignaient encore quant a leur avenir. La plupart espdrait entrer dans 1'armee, promotion indispensable pour etre absous car leurs meurtres seraient alors con vertis en faits de guerre. Quant aux exclus, pour manifester leur mlcontentement, ils continuent a revendiquer leur statut de Ninja et deviennent des delinquents dans le Pool et a Brazzaville de facon individuelle ou organised en gangs. La Reserve ministe'rielle apparatt apres les Ninja a la suite de l'lchec des FAC dans la destruction des bases de resistance de I'opposition. La Reserve est forme'e par les gouvernants, a partir de I'enrSlement des civils. Quelques mois apres l'llection de 1992, les nouveaux gouvernants avaient deja recrute" des civils pour renforcer la garde prlsidentielle. Le 9 aoflt 1993, ces civils sont regroupls dans une 56 Remy Bazenguissa-Ganga institution officielle nommde la Reserve ministlrielle et placed sous l'autoritl du ministre de l'lntlrieur. Dans un second temps, certains d'entre eux sont envoyes suivre une formation militaire rapide dans des camps situls d'abord dans la region de la Bouenza, puis dans celle du Niari ; regions qui abritaient la majority des electeursde l'UPADS. Apartirde 1993, des jeunes recrutes dans ces regionsy sont aussi envoyes. II est tres difficile d'evaluer le nombre exact des Cocoye. Lors de nos enquetes de 1995, il etait deja apparu, selon les chiffres officiels, que 819 miliciens participaient aux actions des Forces publiques; d' une part, 348 Aubevillois 6taient utilises en tant qu'auxiliaires de police dans les commissariats et d'autres services de police a Brazzaville; d'autre part, 471 miliciens, vivant au camp militaire du " 15 aoQt", situl dans le Plateau devaient etre incorpores dans l'armee. Par ailleurs, un autre groupe de 700 miliciens suivait une formation d'elite au centre de Loudima. En 1997, d'autres les ont rejoints, surtout certains Elements du service national, du service general de la Presidence et de la gendarmerie. En 1996, la rumeur publique avancait le chiffre de 4 000 jeunes ayant et£ ainsi formes. Les Cobra, la troisieme milice, se cre"ent apres le 3 novembre 1993. Ce jour-la, 1' armle encercle 1 'arrondissement de B acongo et tire a 1' arme lourde. L' opposition resiste et les Ninja rec,oivent le soutien des militaires et de quelques militants du PCT. Quelques jours apres leur retour dans leurs quartiers, ces derniers constituent les Cobra, afin d'assurer la security de leurs dirigeants. Pour ce faire, ils recrutent entre 200 et 250 miliciens parmi les militants du PCT rassemblls dans la machine Electorate liee a l'ancien president de la Rlpublique Denis Sassou-Nguesso. Les Cobra contr61ent les quartiers Poto-poto, Ouenze et M'Pila, oil se trouve le siege de leur parti. Lorsque Sassou quitta sa residence pour aller a Oyo, la plupart des Cobra se replierent avec lui. Au cours du mois de novembre, les troubles se deplacent dans 1' arrondissement de Mfilou. Les pires violences s'y dlroulent: plusieurs electeurs du MCDDI sont rue's ou chassis de cet arrondissement. Ces violences marquent l'entree en scene d'un conglome'rat de bandes armies, appelees les Zoulou. Ces derniers rassemblent des acteurs Strangers a ces quartiers. Ceux-ci sont pour la plupart des dllinquants, des criminels et des "sinistreY'. Les criminels, libe'rls des prisons, rec,oivent la promesse d'une immunity et d'un statut a la suite de leur participation a ces violences. Les dllinquants viennent de Moungali, de Mak6l6k6\6 et Bacongo. Ils trouvent, a Mfilou, des occasions de piller en toute impunite\ La catlgorie des "sinistres" regroupe ceux qui ont 6t€ chassl de leur maison. Les sinistrls de la mouvance ont 6l6 exclus de Bacongo. Ils se rlfugient soit a la Pre'sidence, soit dans un hdtel limitrophe -1'Olympic Palace -, soit dans un camp amenagd face au Palais du Parlement. Hormis ces "etrangers", des habitants de 1'arrondissement de Mfilou participent aux difflrentes actions. Ils font partie des comitls de defense des quartiers mises en place par l'UPADS. J'aimenluneenquetesurcesmilicesen 1995. Premierement.j'aipudistinguer Les milices urbaines au Congo 57 deux types de regroupements armds a Brazzaville en 1993-1994 : deux milices privdes - les Ninja et les Cobra - , une milice d'Etat - la Reserve ministe'rielle - et un conglome'rat de bandes se donnant le nom de Zoulou. Les milices privies soutiennent les partis les plus puissants de l'opposition. Deuxiemement, chaque milice controle un territoire dans Brazzaville: Bacongo et Make'le'ke'le' pour les Ninja; Mpila et Poto-poto, pour les Cobra, et l'arrondissement de M'Filou pour les Zoulou. Troisiemement.lesmilicesderoppositionreconnaissentqu'ellescontrolent a peu pres 300 membres meme s'ils etaient, potentiellement, en mesure de recruter plusieurs milliers de jeunes. Par contre, il est difficile d'eValuer le nombre de miliciens appartenant aux forces gouvernementales, d'autant plus que les gouvernants controlent reellement la "Reserve ministe'rielle" et tolerent les Zoulou. Les miliciens ont entre 18 et 35 ans et sont pour la plupart de sexe masculin'. Us sont en majorite Brazzavil lois de naissance, descolarises ou de'classe's. L'indicateur scolaire est tres important, car ce pays a vecu, pendant pres de trente ans, sous un systeme qui faisait de chaque 61eve un acteur politique. Us dtaient tous, d'abord, des "pionniers" de la Revolution, puis membres de la jeunesse du parti unique. Aussi ces jeunes avaient deja des atouts pour politiser leurs revendications sociales. 3- La dissemination de 1'usage de la violence politique en 1997 En 1993-1994, les miliciens etaient essentiellement Brazzaville^ mais, lors des conflits de 1997, ils Etaient majoritairement semi-urbains. L'usage de la violence politique s'est disseminee dans tout le pays. De 1995 a 1997, le de"sarmement des miliciens, estimes a pres de 10 000, de vient I'un des themes majeurs de la controverse politique au Congo. Le pacte de paix de de'eembre 1995 prevoyait leur demantelement et le recrutement des jeunes de 18 a 22 ans par la gendarmerie et la police. Chaque parti politique dot6 d'une milice recut un quota de places: 2 000 pour la mouvance pr&identielle et I 000, pour l'opposition. Mais la majorite des jeunes effectivement inte'gre's provennaient de groupes lies a la mouvance presidentielle. II convient de reconsiderer la structure des milices politiques et bandes armees face a ce contexte4 Cette structure se manifeste a travers Farticulation de trois elements: une ville secondaire comme lieu de formation ; la collaboration de formateurs nationaux et etrangers; en fin la participation massive de miliciens recrutes dans les villes secondaires. La formation militaire des Cocoye, une des milices de la mouvance prdsidentielle, s'est ddroulee a Loudima dans la Bouenza. Les formateurs sont des etrangers mais aussi des militaires locaux. Les Strangers sont, principalement.d'origineisrae'lienneetsud-africaine. Les encadreurscongolais etaient conduits par le colonel Yves-Marcel Ibala, le ministre de la S6curit6 Publique, et le colonel Mbaou, responsablede la Security presidentielle. La plupart des militaires ayant descrtc, tres peu d'officiers assuraient le role d'encadreurs des Cocoye lors des combats. 58 Rimy Bazenguissa-Ganga II est tres difficille d'evaluer le nombre exact de Cocoye. En 1996, le chiffre de 4 000 jeunes forme's circulait. Chaque combattant recevait des per diems de 10 000 FCFA. Quant a la logistique, les Cocoye beneTiciaient d' une bonne partie du stock de l'arm£e. Ces milices etaient potentiellement plus puissantes que les Cobra. Cependant, il leur manquait une organisation et un soutien logistique reel de la part des dirigeants. Une partie de ces derniers detournaient les fonds destines a payer la "guerre". Les Cobra suivirent leur formation militaire dans le village d'Odzanongo situd entre Ollomboet Oyo, la ville de Sassou. II convient de distinguer deux categories de formateurs: les Grangers et les officiers limoges. Les formateurs etrangers Etaient d'origine israelienne et franchise. Dans le cadre de la politique dite de rdequilibrage ethnique au sein de l'armde, soixante dix-sept officiers furent limog^s dont la plupart eprouvait une sympathie pour l'ancien regime. Ces officiers, privet de salaire depuis deux ans, vivaient a Oyo et assuraient la formation des Cobra. Leur ralliement a la cause de l'ancien president constitua un apport non negligeable notamment en matiere du maniement des blindes et de l'artillerie. Pendant les combats, la structure militaire des Cobra etait commande'e par unofficierexclu, Jean-Marie Tassoua, surnomme le " general Giap". Au debut des affrontements, une grande partie des militaires (hommes de troupes et officiers), qui occupaient encore leur position, s'allierent a Sassou et permirent, ainsi, aux forces des FDU d'etre, potentiellement, presentes dans tout le pays. Chaque officier influent recrutait des jeunes dans son village et alentours. Beaucoup d'originaires des regions du centre et du nord rallierent ces milices. Ce mode de recrutement posait des problemes car chaque Cobra ne reconnaissait que l'autorite' de son chef. Ces recrues etaient estimees au nombre de 2 ou 3 000. Chaque combattant recevait, lors des affrontements, des per diems de 7 000 FCFA. Les Cobra profiterent surtout du stock d'armes engrang6es par Sassou a Oyo pendant qu'il 6tait president et de celles gagndes pendant Inoccupation des camps militaires au debut des affrontements a Brazzaville. Les Ninja, longtemps rested neutres, furent les seuls a ne pas avoir une longue formation militaire hors de Brazzaville. Depuis la fin des guerillas de 1994, la grande majorite se demotiva car elle ne rec,ut pas de recompense pour ses faits de guerre. Une autre partie ne comprenait pas pourquoi la direction politique du MCDDI leur conseillait de combattre au cote de l'UPADS, leur ennemi d'hier. Certains formateurs puissants des Ninja refuserent de remplir a nouveau ce role. L'un d'entre eux, Claude-Ernest Ndalla rallia rapidement Sassou. De meme, des Ninjaefficaces en 1993-1994, dans les combats, tel que Willy Matsanga, passerent dans le camp des Cobra avec leurs sympathisants. De fait, les leaders du MCDDI se trouverent dans l'obligation d'entratner rapidement des troupes a Brazzaville dans le camp de Makala. Pres de cinq cent recrues furent placees sous la responsabilitedeBikinkinta, leministre del' Intdrieur, etde Herbert Massamba,un Les milices urbaines au Congo 59 Ninja de la "premiere generation". Cependant, ils manquaient d'armement et d'equipement. A la difference de toutes ces milices, beaucoup de jeunes organiserent des groupe d'auto-defense dans les regions. Les elites politiques leur distribuerent massivement des armes. A Brazzaville, ces jeunes voulaient defendre leurs quartiers. Dans les villes secondaires et les regions, ces groupes dissuadaient les ennemis d'envahir les positions tenues mais ces jeunes rackettaient aussi la population soumise a des controles perpetuels. Ces acteurs adheraient aux milices contre des per diems de 1 000 FCFA et une promesse de recrutement dans l'arme'e. Ce type d'enrolement fut systematise par la mouvance pour creer les Mamba, la derniere milice apparue sur la scene politiquecongolaise. LesMambarassemblaient deux types de combattants: les Brazzavillois et plus majoritairement les jeunes venus des regions du Niari, de la Bouenza et de la Lekoumou. Ces miliciens, regroupes a Brazzaville sous la responsabilite de quelques colonels, suivaient une semaine de formation militaire avant d'aller combattre. Pour recapituler les donnees generates sur les milices de 1997, il convient d'en reteniraumoins deux aspects: la difference entre les miliciens ayant deja combattu etceuxquin'ontaucune pratique guerriere; la predominance des jeunes originates ou formes dans les villes secondaires. Des analogies existent entre ces miliciens et ceux de la "premiere generation" du point de vue de la categoire d'Sge et des disqualifications scolaires marquees par l'e'chec et le declassement. 4- La dissemination des pratiques de violence politique Le passage a la violence politique d'une grande partie de jeunes congolais a accompagnelaredefinitiondel'experience politique implique'e par les dynamismes de la transition democratique. Ce passage s'institue a partirde la reinterpretation ou de l'elargissement des effets d'un certain nombre de pratiques sociales qui sortent de leur domaine propre pour en vahir le champ politique, ou elles sont alors largement diffusees, martelees par les appareils de propagande. Pour rendre compte de cette dissemination, il reste a considerer les deux etapes du processus de democratisation au Congo ou I 'utilisation massive de la violence politique a eu lieu par des organismes non-officiels : la transition et la pe"riode post-eiectorale. Durantlatransition.de 1991 a 1992, les rues brazzavilloisesredevinrentarbitres des luttes se deroulant dans le champ politique.5 Elles ravirent le monopole de la violence legitime a l'armee en faisant l'experience de l'impuissance de cette derniere a son encontre. En Janvier 1992, pretextant des arrie're's de salaire, une partie des militaires, sous la direction du Haul Commandement, se mutine et tente un coupd'Etat. Pour la premiere fois, des barricades, e'rige'esdans les quartiers sud de Brazzaville, obligent l'armee a ceder. Les groupuscules politiques, qualifies de "jeunes",6 controlaient ces barricades. Ces acteurs entretenaient des liens avec le mouvement reVolutionnaire congolais 60 Rimy Bazenguissa-Ganga d e gauche. Us critiquerent, pendant la Conference nationale, tous lcs "vieux" leaders politiques mais ne rSussirent pas a faire adopter un actc qui intense, pendant cinq ans, toute representation politique aux concurrents ,ncnmin& dans les malversations politiques de tous ordres, et surtout l'usage de la violence Apres ce forum, les jeunes animerent une alliance politique, la plus puissante pendant la transition, appetee "les Forces du changement". Les emeutiers Orient pour la plupart, ages de 15 a 35 ans. Us ne constituaient pasungroupehomogenemaisplutot traverse pardes divisions sociales.id^ologiques et politiques. Sur le plan individuel, ils etaient chomeurs, etudiants, anciens militaires exclus, miliciens, etc. Dans certains cas, ils adheraient en bandes parmi lesquelles certaines, pr6existaient aux barricades, et s'effor?aient de reconvertiren objectif politique le but initial de leurs bandes. Le renforcement du pouvoir de la rue deboucha sur des changements politiques significatifs. En meme temps qu'elle gagnait une autonomie, elle devait faire face a la contre-violence comme mode d'intervention. Cette situation accentua le sentiment d'insecurity politique et sociale. Les elections se deroulerent dans un cadre de quete se"curitaire et la population choisit les trois leaders honnis pendant la Conference nationale comme "chefs de guerre" : Pascal Lissouba, Bernard Kole"las et Denis Sassou Nguesso.7 Ce qui montre la complexite de la dynamique politique qui favorise surtout ceux qui possedent des atouts politiques8 et provoqua dans ce cas l'explosion des "Forces du changement". Apres les elections, la configuration des acteurs de la violence change. Les fractions de la base dlectorale des leaders politiques les plus puissants, organises en milices prennent la place de la rue. Ces acteurs s'affrontent dans le cadre de contestation des legislatives et du processus d'alternance politique. La premiere situation de violence etait plus locale car il s'agissait de gagner un territoire dans la capitale tandis que la seconde, plus globale, avait pour but la conquete du pouvoir politique. La composition des milices se modifiait en relation avec la situation des combats. Du fait qu'en 1993-1994, les milices sont restdes pratiquement que surleur territoire et se sont tres rarement affrontees entre elles, le passage a la violence des milices peut s'expliquer par l'elargissement dans le champ politique des effets d'un certain nombre de pratiques sociales qui expriment la perversion des relations entre voisinsqui onttoujours ve"cu en paix. Trois types de pratiques sont impliqu&s : l'ethnicite, les accusations de sorcellerie et 1'appropriation symbolique des oeuvres cinematographiques. L'argument ethno-regional est avance" par le sens commun congolais pour expliquer les violences politiques. II ne s'agit pas de nier sa pertinence, au moins en tant que pratique de representation et surtout d'assignation d'identite" aux victimes. Toutefois, il con vient de moduler la portee de cette explication. II importe de concilier les approches macro-sociologiques et micro-sociologiques pour Les milices urbaines au Congo 61 cerner les differentes pratiques d'assignation des identites ethno-r£gionales au Congo. Dans le premier cas, les Congolais ont tendance a reprdsenter, dans le cadre d'une opposition dualiste, tous les conflits politiques ayant cours dans leur pays. Dans le second cas, ils assignent aux acteurs dans des situations d'interaction precises, des identites beaucoup plus locales; phenomene qui tend a politiser toutes les identites ethniques reconstruites a partir des references identitaires coloniales ou pre-coloniales (plus de soixante-dix) existant dans le pays. Les deux niveaux entrent, parfois, en contradiction. Ainsi, c'est le conflit qui confere une importance politique a ces references identitaires et non pas seulement l'appartenance a un groupe precis. Ces identifications ne se referent pas a des realite"s seculaires mais a des constructions sociales, datees, qui accompagnent les luttes pour le controle des positions etatiques. Une fois leur production realisee, les diffeYents acteurs mettent en place des strategies pour les revendiquer ou pour les assigner de force dans le cadre des manifestations de violence. Rendre compte de toutes ces pratiques permet d'eviter de se donner des collectifs identitaires tout constitue's et d'apprehender les operations de leur construction et transformation au cours des conflits par la defense d'une cause politique. Dans leur approche globale, les Congolais utilisent six termes d'identification possible organises en trois oppositions dualistesqui se sont succedees historiquement : Kongo/Mbochi, puis Nordistes/Sudistes et, enfin, Nibolek/Tcheque. Dans la pratique, d'autres niveaux d'ordre micro-sociologiques interviennent. Ce sont des collectifs qui se creent pour defendre une cause politique. Ces categories ne sont done pas seulement produites en reference a I'ethnicitd (Kongo, Mbochi), mais aussi geographiques (Nordistes, Sudistes) et des regions administratives (Nibolek et Tcheque). Les premieres modalites de la representation de ridentite" des acteurs politiques prirent la forme d'une mise en relation de deux ensembles ethniques : les Kongo contre les Mbochi. Ces identites politiques ont emerge dans le cadre dumultipartisme reglant les conflits pendant l'epoque coloniale. Les Kongo y occupaient la position dominante. Cette representation populaire des conflits politiques declina a partir de 1968 apres un coup d'Etat qui avait port£ un Mbochi au pouvoir. Le nouveau contexte politique, marqu£ principalement par la militarisation du champ politique, s'appuyait sur Installation d'un mode de domination articule" sur la transformation du monopartisme mis en place depuis 1963. Une nouvelle opposition dualiste prit place et utilisait des references spatiales : les Nordistes contre les Sudistes. II convient de souligner que le premier terme est equivalent a Mbochi et le second, a Kongo. Apres plus de vingt-trois ans de monopartisme et de gouvernement militaire, le Congo rejoint, en 1991, la vague de dgmocratisation des pays africains a la suite d'une Conference nationale souveraine. Le nouvel ordre politique consacre un 62 Rimy Bazenguissa-Ganga pluralisme et r6institutionnal.se les elections au suffrage univcrsel favorisant la domination des civils. Du point de vue des assignations identitaires, la regie dlectorale, selon laquelle "un homme = une voix", comporte une traduction demographique. Dans ce systeme de representation, les acteurs - impliqu6s dans le conflit politique a venir - revendiquaient, conformement a 1'ancien systeme politique, 1' identic de Sudistes, ensemble numeriquement majontaire. Ce dernier ensemble implosa en deux tendances qui produisirent de nouvelles configurations identitaires: les Nibolek et les Tchek. Nibolek est compose des premieres syllabes des noms des regions administratives suivantes: NIan, BOuenza et LEKoumou; par contre, l'identite Tchek etait assignee aux seules populations de la region du Pool. Les Congolais utiliserent la violence politique pour disseminer de nouvelles identites politiques. C'est dans ce sens qu'il convient aussi de comprendre les guenllasde 1993-1994. Aborder le niveau micro-sociologique permet de considerer comment ces identites se disseminent, partout, au Congo et mobilisent ainsi un nombre important de personnes pour defendre des causes politiques. Dans ce cas, les references ethniques pre"-coloniales et coloniales sont impliquees mais elles n'entrent pas directement, telles quelles, dans le champ politique. De nouvelles identites sont reconstruites a partir d'elles en fonction de la specificite des luttes politiques. Lorsque Lissouba devint president de la Republique, la rumeur publique affirma que son pouvoir est domine par cinq personnaliteV auxquelles la reT6rence identitaire pre-coloniale Beembe etait assignee. Cette population occupe une partie de la rdgion de la Bouenza. D'ailleurs, les acteurs les plus violents de la mouvance presidentielle, en 1993-1994, revendiquaient cette identic, car ils deTendaient "leur" pouvoir contre d'autres Congolais dont l'identite 6tait definie au raeme niveau. En effet, les guerillas urbaines de 1993-1994 se deroulerent principalement dans les arrondissements sud-ouest (Bacongo et Makele"kele)etest de la capitale (Mfilou). Tous deux peuples en majorite de Tchek qui revendiquaient les identites Lari et Kongo, d' une part, et, d' autre part, des Nibolek se revendiquant Beembe. A la suite de ce rappel, une question se pose : comment des populations parmi lesquelles la separation ethnique n'existait pas, sont arrivees a se discriminer clairement et meme a s'entre-tuer. On peut eclairer ce phenomene lorsqu'on considere la politisation des pratiques qui expriment la perversion des liens entre voisins. Au plus fort des tensions politiques, les agressions reciproques entre les partisans de l'UPADS et du MCDDI, dans les territoires qu'ils controlent, produisent la categorie sociale dite de "sinistres". Ceux-ci portent sur leurscorps les marques des violences subies. Or, du point dc vue de 1' imaginaire, l'opposition entre ces deux parties se ramene a celle des Nibolek aux Tchek. Ainsi, ces deux ordres se superposent. Les temoignages des sinistres, diffuses dans les journauxel meme sur cassettes videos, cristallisent les haines ethno-regionales. Le sinistre'e1 Les milices urbaines au Congo 63 son corps designent le coupable et appellent la vengeance. L'exposition des plaies des sinistres constitue corporellement I'identite ethno-rdgionale en rappelant efficacement les complots qui la menacent. Or, le message de ces te'moignages demande une vengeance organisee: au nom du corps meurtri, les "freres" exigent des mesures pour lutter contre le complot ethnique. Les leaders, qui focalisent sur la meurtrissure du corps ethnique le discours politique, accorde ces mesures; ce qui purge l'espace public des vengeances expeditives et spontanne"es des massacres populaires. La prise en compte des accusations de sorcellerie permet de souligner le fait que les massacres ne s'exe"cutent que sur des terrains sociaux favorables oil la vie humaine a perdu de sa valeur. Au cours des annees 80, l'utilisation du scheme de la sorcellerie a permi aux jeunes de construire, a la suite de leur exclusion et declassement scolaires, la violence politique selon des formes plus sociales, et non plus individuelle comme dans la delinquance. En effet, le scheme de sorcellerie, expliquant le malheur dans d'autres univers sociaux (maladie, mort, infortune, etc.), commenca a etre utilise" massivement pour interpreter la multiplication des echecs scolaires, cause de declassement et de chomage, tous issus du desengagement de l'Etat.10 Cette multiplication n'etait pas souvent percue par les jeunes, comme le resultat des decrets gouvernementaux mais celui des actions de sorcellerie dont laresponsabilite" etait attribute a des "vieux du quartier". Quand un vieux n'&ait pas directement designe" comme sorcier du quartier, les jeunes "aidaient" un de leurs amis a se debarrasser d'un membre age" de sa famille. Celui-ci jouait de fait, la fonction de "vieux du quartier". Ces types d'accusations culminaient souvent, dans une elimination violente. Dans ce cas, le vieux etait battu et il arrivait meme qu'il soit mis a mort asperge d'essence et brule. Quelques indices montrent que les guerillas sont aussi lides a cette forme de violence. Les enquetes que j'ai menees a Brazzaville, a la fin des annexes quatrevingt, sur ces phenomenes montrent que, du point de vue des representations, la television exercait une grande influence sur l'emergence de ces pratiques. La plupart des entretiens mettaient en avant Pimportance de la diffusion des scenes d'elimination des traitres en Afrique du Sud par les Zoulous. Cette derniere reTe'rence est, d'ailleurs, directement utilisee pour designer les bandes armees de Mfilou. L'indice le plus evident dans le cadre de I'eiargissement de ces pratiques serapporte au cas de 1 'immolation d'un vieux Tchek a Mfilou et son corps emmene au domicile de Kolelas pour illustrer ce que les Tchek subissaient dans cet arrondissement. D'apres cette version, ce vieux etait accuse de sorcellerie. Son immolation a ete I'un des detonateurs des hostilitds entre Nibolek et Tchek. Les miliciens trouvent, enfin, dans leurs pratiques d'appropriation symbolique des oeuvres cinematographiques et teievisuelles, des references pour symboliser, dans l'imaginaire, les aspects violents de leur vision du monde. Les noms Cobra etNinjaproviennent des films chinois de kung-fu. Par contre le nom Zoulou vient, 64 Rimy Bazenguissa-Ganga a la fois, d'une serie televisee, ChakaZoulou, et des informations deversees paries m6dias. De meme les arrondissements les plus touches par les affrontements, Bacongo et MTilou, recoivent respectivement les noms Sarajevo et Beyrouth. Le sigle de la force publique chargee de reprimer les Ninja, les C.R.S., est deformeen CeTex. Ce nom provient, quant a lui, de l'univers de senes telev.sees japonaises, "X-or, le she"rif de l'espace". Les aspects de la violence, symbolises ici, comporte une double dimension. D'une part, ils concernent la repression subie de la part des voisins. Dans ce cas, ces aspects se rapportent a la production du corps martyr de l'ethnie et exhibentla souffrance de l'ethnie ou de la region. D'autre part, les memes elements m6diatiques montre la volont^ de produire un corps invincible car les acteurs decident de se defendre. Le choix du nom Ninja s'explique par le fait que les personnages auxquels ils se referent sont invincibles. De meme, les Zoulou d'Afrique du Sud sont, disent les Congolais, proteges par de puissants fetiches. Ainsi, le corps martyr de l'ethnie possede deux apparences. Sous les traits de la premiere, il incarne l'insoutenable contemplation de ses blessures exhibees par les "sinistres"; par la seconde, il prend la forme de la gloire, d'un corps indestructible grace a la resistance de ces miliciens. Nous retiendrons au moins trois pratiques, associees a la recomposition du tissu social a partir des elections de 1992 et des premiers affrontements, dont la miseen relation contribuerent a la creation des milices de 1997: la reconfiguration des identitds ethno-regionales, la montee en puissance politique des villes secondaires et les pillages. Les affrontements de 1997 manifestent clairement la reconstruction des identites ethno-re"gionales. Les lieux ou se deroulerent les combats eurent tendance a reproduirel'oppositionNordistes/Sudistesaveclesouvenirderimplosiondecette derniere reference identitaire en Nibolek et Tchek. Aussi les gudrillas se concentrerent dans certains arrondissements: d'un c6te, ceux du nord de la ville (Poto-Poto, Ouenze, Talangai et Moungali) tenus par les Cobra de Sassou et, de l'autre, celui du sud-est (Mfilou), peuple de Nibolek et controle par les miliciens soutenant Pascal Lissouba. Cependant, les arrondissements sud-ouest (Bacongoet Makelekele) domines par les Tchek et tenus par le MCDDI, ayant proclame leur neutrality, restaient pacifiques. Les identifications ethno-regionales, produites a une echelle globale, ne furent pas un facteur de dissemination des usages de la violence politique a la difference des constructions plus locales. La mise en avant de cette echelle permet de revenir sur le fait que l'e\enement declencheur se deroula dans une ville secondaire, Owando, alors que celui de 1993-1994 se deroula a Brazzaville. L'importance de la ville d'Owando manifeste l'implosion de l'ensemble identitaire nordiste. La visite de Sassou Nguesso dans cette locality, chef-lieu de la region de la Cuvette, fut l'objet d'enjeux politiques enormes. Cette ville est situee sur le territoired'une Les milices urbaines au Congo 65 population qui revendique Pidentit* Kuyu. Plusieurs grands leaders politiques venaient d' Owando: Ngouabi, president de la Re"publique assassine" en 1977 Joachim Yhombi Opangault, ancien Premier ministre de Lissouba et directeur de campagne de la mouvance presidentielle et, enfin, Pierre Anga officierde l'armde congolaise entre en rebellion et tue en 1988 apres un maquis sommaire aux alentours de cette ville contre le regne de Denis Sassou Nguesso. Pierre Anga devintune figure emblematique pour certains Kuyu. Par contre, une autre identic celle de Mbochi, est assignee a Sassou. En s'appuyant sur la construction de l'identit^ politique Kuyu, Jacques Okoko et Yhombi Opangault, membres de la mouvance presidentielle, voulurent faire un front contre Sassou. Leur prise de position ne rallia pas pour autant a leur cause tous les Congolais qui revendiquaient Pidentite sociale Kuyu. Tel fut le cas du capitaine Aboya, ancien garde du corps de Yhombi, qui executa le militaire accuse" de vouloir assassiner Sassou L'appartenance au groupe social n'implique done pas necessairement la revendication de l'identite politique portant le meme nom. Dans la mouvance presidentielle, la construction micro-sociologique consacra la domination des elites revendiquant une identite Nzabi, population de la region du Niari, sur les Beembe, population de la Bouenza. La disqualification des officiers de la premiere generation proche du g^n^ral Daniel Mabika marqua ce changement. Ces militaires s'illustrerent lors des guerillas de 1993-1994. Par contre, dejeunes officiers, autourdu colonel Marcel-Yves Ibala(Nzabi)-ministre de la Se-curite publique et grand organisateur des milices prdsidentielles -, monterent en puissance. Les officiers de la premiere generation refuserent de superviser "l'action policiere" contre la residence de Sassou. Cet acte provoqua la desertiond'une bonnepartie des militaires laissant lesgouvernantsdans 1 "obligation de trouver rapidement des combattants pour defendre leur cause. Ces derniers se tournerent alors vers leur base politique construite en fonction des re'fe'rences ethno-regionales. En plus de la reconfiguration des identity ethno-regionales, la monte"e en puissance des villes secondaires contribua a la dissemination des pratiques de violence politique. Le Congo est di vise en 10 regions administrati ves1'. En retenant le seuil compris entre 2 000 et 20 000 habitants, ce pays compte en dehors de Brazzaville et Pointe-Noire, 18 villes secondaires, 34 petites ou moyennes villes et 39 petits centres a competence terri toriale moins e"tendue (chefs lieux de districts, Postesde Controle Administratif (PCA), et centres ruraux. La population des villes secondaires a subit une croissance rapide au cours de ces vingt dernieres anne"es. Son tauxest passed de5%en 1960a 12%en 1980. Par ailleurs, ces lieux recueillent toutes les migrations scolaires en provenance des centres ruraux et des villages. Le lauxdescolarisation avoisine 100 %. De fait, ces lieux regroupent aussi unegrande partie de victimes du de"classement et des dchecs scolaires dont une majority devient des miliciens comme a Brazzaville. 66 Remy Bazenguissa-Ganga Udemierrecensementde 1984 rnontreque20,4%delapopulationdeces villes a moins de 15 ans, 59,26 % de 15 a 59 ans et 1,2 % de 60 et plus. Une grande Pr6carite et un manque de diversification des activites marquent le domaine economique. Ces villes concentrent jusqu'a 75% de chomeurs et un pourcentage eleve d' adolescents de plus de 15 ans - en age de travailler - est maintenu dans le systeme scolaire. La population active se repartie dans les secteurs et branches d'activiuJs suivants : l'agriculture (55,2%), les services (18,3%) et le commerce (12,5%). La politisation par les semi-urbains de leurs frustrations sociales s'exprima, en 1992, par la production d' un modele electoral "ethno-regional" dans le sens complexe que nous avons donne a ces termes. Ce modele se realisa lors des consultations locales,regionalesetlegislatives.12L'electoratdel'UPADSdemeurait dans trois regions: le Niari, la Bouenza et la Lekoumou ; celui du MCDDI, dansle Pool et Brazzaville ; enfin, celui du PCT, a Brazzaville et dans la Likouala. DifKrents partis se partagerent les autres regions. Or, Pascal Lissouba, qui gagna les presidentielles, avait sa base electorate hors de Brazzaville, alors que le pouvoir politique etaitjusqu'en 1990 construitdanslacapitale. Ces resultats indiquent une relative baisse de la puissance politique des habitants de cette ville mais elle restait toujours, cependant, l'ultime scene des affrontements. Aussi, les originaircs des regions interieures devaient venir a Brazzaville pour defendre leur droits. Le fait que la majority des miliciens de 1997 n'etait pas brazzavilloise, peut aider a expliquer certains aspects des affrontements. Premierement, il 6tait impossible aux leaders de composer avec ces combattants des unites anti-guerilla, chargees d'envahir les positions ennemies, a cause de leur m€connaissance de la capitate. Deuxiemement, n'ayantaucun lien affectif avec cette ville, ces guerriersparticipaient plus facilement a sa destruction massive. Aussi, l'ennemi etait attaqu£ de loin dans son fief par des pilonnages. L'adhgsion des jeunes provenant des villes secondaires aux milices commence surtout apres les pillages de Brazzaville. Ces pratiques r6velent I'ambiguit6 de 1'engagement politique des combattants brazzavillois. El les sont un acte contre le non-respect des promesses faites par les leaders a la fin des affrontements de 1993- 1994. On appelait les pillages: "Tuer le cochon" dans les quartiers nord de Brazzaville et "N'Kossa, chacun aura sa part", dans les autres. N'Kossa est le nom du grand puits pe'trolier exploit^ par Elf. Ces deux enonce's, mettant en valeur l'ide'e du don et du partage, se veulent des critiques de la non-redistribution de la richesse nationale par l'dlite politique. La population doit done, pour vivre decemment, lui en arracher une partie. Dans ce sens, lors des affrontements, cette critique des leaders politiques prit la forme d'un partage des quartiers entre les differents groupes de miliciens et certains Brazzavillois.13 Une partie des biens pine's 6tait renvoyde dans les villes secondaires et dans tes Les milices urbaines au Congo 67 villages. Cet acte indique que, dans la culture de la violence, ces lieux devenaient valorises. Plutot que de cacher ces biens, ces jeunes contribuaient a Pembellissement de leur village. Introduire les signes de la modernite" dans cet univers, e"tait un honneur. Ces expeditions jouerent un role important pour l'enrolement des Mamba qui esperaient faire de meme assez rapidement. II est possible de dire que les derniers affrontements brazzavillois ont developpe chez certains urbains 1'amour de leur region et surtout du village represent comme le veritable havre de paix, un lieu de replipossible.Alors.il leur fallaitmontreruninteret pource lieu en espe"rant y 6tre re9U en heros. Ces actes de pillages, tout comme les accusations de sorcellerie dans les de'cennies 80 et 90 a Brazzaville, instruisent, en fait, le proces de la cate"gorie d'Sge des "vieux". Ces derniers sont toujours rendus responsables des echecs, des infortunes ou des difficultes des "jeunes" dans la vie quotidienne. Joseph Tonda montre, "Esprit de desesperance sociale et guerre civile permanente",14 comment, dans les villes secondaires, ces pratiques contribuent a la "de"parentilisation" des acteurs. Cette realite se manifeste a travers le sens que prennent les pillages massifs du "parent ethnique", "villageois" ou "regional". Tel fut, par exemple, le cas des actes perpe'tres par les Cobras a Talangai (Brazzaville) et dans quelques villes du nord : Etoumbi, Mbomo, Makoua, Owando, Mbama et Ewo. Ces miliciens y saccagerent les maisons, les magasins et les e'tablissements industries de leurs "parents". Dans certaines localitis, les pillages s'accompagnerent de Iadestruction des nSgistres d'e"tat-civil; un geste qui n'est pas du tout gratuit, dans la mesure ou il efface symboliquement et materiellement la relation de parente et la me"moire ecrite qui la fixe. 5- Conclusion Dans certains pays, comme le Congo, les processus de transition de"mocratique ont disse'mine' 1'usage de la violence politique dans une grande partie de la soc\6t6. De fait, les relations entre la population et l'armee changent. Les miliciens affirment etre les "vrais" militaires puisqu'ils sont les seuls k avoircombattu. Us de"valorisent les militaires de metiers qui avaient, pour la plupart, deserte's leur postes. Avec de telles conceptions, un certain nombre de questions meritent d'etre poshes. 1- Est-il possible de reconstruire tres rapidement une arme'e rdpublicaine et fiable? Les dirigeants congolais envisagent de le faire en associant des militaires a certains miliciens. Cependant, les leaders n'arrivent pas & de'sarmer les miliciens qui ne satisfont pas les criteres de selection de cette nouvelle arm6e. 2- Que deviendront les miliciens et les militaires de l'ancienne mouvance prdsidentielle? Ils sont source de ddstabilisation puisqu'ils ne sont pas inte'gre's dans l'arme'e re"guliere. 68 Remy Bazenguissa-Ganga 3- Enfin, le probleme de 1' "impossible" pacification des moeurs peut se poser a long terme. Les combattants, vainqueurs ou vaincus, devront vivre avecle souvenir de leurs actes. Or, cela ne les empecherait pas, si une situation de violence se repr^sente, de se mobiliser a nou veau et de mettre plus brutalemenl en acte les competences acquises. Notes 1 On peut se referer pources elections aux ouvrages suivants: Fabrice Weissman, Elections presidentielles de 1992 au Congo: entreprise politique et mobilisation electorale, IEP de Bordeaux, Universite de Bordeaux I, CEAN, 1993; Robert- Edmond Ziavoula, Villes secondaires et pouvoirs locaux en Afrique subsaharienne: le Congo, Nordiska Afrikainstitutet, Uppsala, 1996. 2 J'ai propose une analyse sur ces miliciens dans "Milices politiques et bandes armees a Brazzaville : enquete sur la violence politique et sociale des jeunes declasse^ in Les Etudes du Ceri, n° 13, avril 1996. 3 Pour exemple, il n'y eut que 5 Ninja de sexe feminin. 4 Nous ne possedons pas les memes types d'informations sur ces milices. Les donnees sur les Cocoye ont ete recoltees, en septembre et octobre 1997, lors des enquetes pendant les affrontements, alors que nous ne nous sommes entretenus avec quelques Cobra apres les conflits. 5 Nous parlons du retour de la rue comme arbitre des luttes politiques, car en 1963 elle avait r&issi, a la suite d'gmeutes, a obtenir la demission du premier president congolais, l'abte Fulbert Youlou. Pour ces evdnements, cf. Remy Boutet, Les trois glorieuses ou la chute de I abbe Fulbert Youlou, Dakar, edition chaka, 1989. Ce mouvement a ete, par la suite, consacrd comme "la revolution congolaise". 6 Les trois groupes politiques qui exercerent leur influence sur les barricades furent: Le Molide, la Cause et le Pari. 7 J'ai aborde comment la domination des "chefs de guerre" s'est rtalise'e a partir du processus electoral dans "Processus de democratisation et elites politiques au Congo: questions sur la violence urbaine" in CURAPP, Questions sensibles, pp. 11-21.PUF, 1997. 8 J'ai analyse les dynamiques de longevite des acteurs politiques africains dans mon livre Les voies du politique au Congo: essai de sociologie historique, Karthala, 1997. 9 Ces cinq personnalitls dtaient les suivantes : Martin M'BeYi, ministre de l'Inte>ieur, Christophe Moukou<